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couverte de ténèbres, que le raisonnement vulgaire n’hésite pas. Il en sait, à n’en pas douter, le principe. Il le connaît à merveille, il le proclame sans balancer, c’est le corps. »

Voilà l’infirmité radicale des démonstrations ordinaires de la spiritualité. Elles posent comme réalité comme un principe hypothétique, la cause des phénomènes physiologiques ; elles l’appellent corps, matière. Et c’est en s’appuyant sur l’examen comparé des phénomènes psychologiques que par induction elles essaient de démontrer quelle doit être la cause de ces phénomènes ; elles remontent à cette cause inconnue, elles la nomment. Leur point de départ, c’est la réalité du corps, dont on parle sans hésitation comme d’une chose parfaitement claire. Le terme de leur induction, c’est le principe des phénomènes psychologiques, l’esprit, l’âme. — L’originalité de la démonstration de M. Jouffroy est de prendre le contre-pied du raisonnement vulgaire. Il soutient que ce qui est la réalité la plus claire pour nous, c’est l’âme, que ce qui est obscur au contraire, c’est le corps, et, reléguant dans la métaphysique d’hypothèse cette cause inconnue, il concentre tous ses efforts sur la cause qui nous est la plus intime et la plus familière. C’est là un procédé savant, vigoureux, ou Descartes et Maine de Biran se retrouvent tous deux réunis et conciliés, Descartes avec son principe « que l’âme nous est plus connue que le corps, » Maine de Biran avec sa célèbre analyse du moi, essentiellement cause.

À peine pourrons-nous, sans nous perdre dans un détail infini, donner une idée de cette démonstration pénétrante, qui tire une grande partie de sa valeur de l’exactitude des analyses, de la variété des aperçus, de la sincère exposition d’une méditation qui se raconte elle-même, et qui descend, de couche en couche, jusqu’aux dernières profondeurs de l’âme. Résumer ces analyses, c’est infailliblement les trahir et les exposer aux mépris de la critique superficielle. Tenons-nous-en donc au principe. Ce principe consiste à rétablir la conscience dans tous ses droits et dans sa vraie portée, à poser en fait qu’elle n’atteint pas seulement en nous les actes et les modifications du principe personnel, mais qu’elle atteint ce principe lui-même. Quand je dis que je sens ma pensée, ma volonté, ma sensation, c’est comme si je disais que je me sens pensant, voulant et sentant. Sans cela, d’où, saurais-je que la pensée, la volonté, la sensation que je sens, sont miennes, qu’elles émanent de moi et non pas d’une autre cause ? Saisir un phénomène qui est à moi, ou saisir la cause qui est moi, sont deux choses identiques. Donc le fait interne ou psychologique n’est pas seulement celui que la conscience me donne : il m’est donné en même temps par la conscience comme l’acte d’une cause que je perçois. Voilà le trait essentiel de cet ordre de phénomènes. Ce caractère établit