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ses rangs ; enfin, sur les frontières du Magne, à l’entrée d’une gorge étroite, talonné par deux mille Turcs, il s’enferma dans le pyrgos de Mili avec vingt-deux hommes, les seuls valides qui lui restassent. Il s’y défendit pendant dix jours. Les Turcs renoncèrent à s’emparer de cette masure, et n’osèrent pas s’aventurer dans le redoutable pays. de Maïna. Avant de rebrousser chemin, ils lancèrent contre le pyrgos une dernière bombe si bien dirigée par le hasard qu’elle en éventra la façade. De ces ruines fumantes, on ne vit sortir que deux êtres vivans, méconnaissables, noircis de poudre, couverts de sang et de blessures ; c’étaient un vieillard, Giovanni Mavromichalis, et un tout jeune enfant. Cet enfant fut plus tard le célèbre Pétro-bey, que le peuple du Péloponèse appelait et qu’il appelle encore dans ses récits le « roi du Magne. »


III

Après le départ des Russes, qui ne rougirent pas d’abandonner à la vindicte musulmane la Grèce qu’ils avaient soulevée, cent cinquante mille Albanais se ruèrent sur le Péloponèse qu’ils mirent à feu et à sang. Le Magne fut respecté parce qu’il était inexpugnable. Renonçant à vaincre les Maïnotes, le gouvernement de la Sublime-Porte essaya de les réduire au silence en entrant en arrangement avec eux. Par un firman solennel (1777), le sultan reconnut la vieille autonomie du Magne, et détacha cette province du sandgiac de Morée. Il fut arrêté par ce même firman que les Maïnotes nommeraient, pour les gouverner selon leurs lois et leurs coutumes, un chef indépendant qui porterait le titre de bey, à la condition qu’ils ne commettraient aucune déprédation sur le territoire turc, et qu’ils paieraient au trésor impérial un tribut annuel de 17,000 piastres, On ne se souvient pas qu’aucun bey se soit jamais acquitté de ce tribut, qui, suivant l’expression des Maïnotes, valut au sultan plus de balles que de piastres. Jean Koutoupharis ouvre la liste de ces princes qui semblèrent tous marqués du sceau de la fatalité, et ne purent, à l’exception de deux seulement, échapper à une tragique fin. Si les Mavromichalis, puissans, redoutés, populaires, ne profitèrent pas de la nouvelle organisation du Magne pour s’emparer du pouvoir qu’ils rêvaient depuis si longtemps, c’est que la dignité de bey, de création nouvelle, convoitée par de nombreux rivaux, n’offrait pas encore à leur ambition de suffisantes garanties. Retranchés dans leurs sauvages domaines de Vitulo, de Tzimovo et du Kakovouni, ils prirent vis-à-vis des beys une attitude silencieuse, pleine de menaces, épiant leur conduite, minant le terrain sous leurs pas, entretenant à Constantinople des agens dévoués à leur sombre et