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contrainte du professeur. On a gardé le souvenir de quelques-uns de ces effets produits par la sincérité de l’accent moral ou par la grandeur de l’idée. Un jour, c’était en 1834, à une époque incertaine et triste où la société semblait chaque jour menacée de nouveaux bouleversemens, M. Jouffroy parlait du scepticisme actuel ; il fut amené à peindre et la faiblesse des volontés et la mobilité des principes, et ce fol amour du changement qui fait que nous semblons moins habiter le présent que l’avenir, accueillant toute révolution avec ivresse, confondant ainsi ce qui est nouveau avec ce qui nous manque, et de ce que l’objet secret et inconnu de nos désirs est une chose nouvelle, en concluant aveuglément que toute chose nouvelle aura la propriété de les satisfaire. Il exhortait ses auditeurs à chercher les solutions nécessaires dans les progrès de la raison publique, au lieu de les espérer follement des révolutions matérielles et des orages de la rue. « Tenons notre esprit calme, s’écria-t-il, dans cette époque de fièvre et d’agitation ; mais-ce n’est pas assez de calmer son intelligence, il faut encore la conduire. » Et il citait les illustres exemples de Marc-Aurèle, d’Épictète, des grands stoïciens pour montrer, qu’il n’y a pas de temps si funeste où il ne reste aux individus, le pouvoir de sauver leur conduite et leur caractère du naufrage universel. Nous le pouvons donc, nous aussi, dans des temps infiniment meilleurs, avec les lumières du christianisme et d’une philosophie épurée pour flambeau. « Il n’est personne qui, en cherchant sérieusement ce qui est bien et ce qui est mal, ne puisse purifier son intelligence et son âme de ce flot d’idées fausses, immorales, bizarres, qu’une licence incroyable d’esprit encore plus que de cœur verse aujourd’hui sur la société. Voilà ce qui est possible à chacun de nous, et si nous le pouvons, nous le devons. Nul n’est excusable de ne pas sauver sa raison et son caractère dans un temps comme celui-ci, car s’il y a, dans les circonstances sociales au milieu desquelles nous nous trouvons, des excuses pour ceux qui laissent l’une s’égarer et l’autre se corrompre, ces excuses ne les absolvent pas ; c’est précisément pour de telles circonstances que Dieu nous a donné une raison pour juger et une volonté pour vouloir. » La fierté stoïque de ces paroles ravissait l’auditoire. Une autre fois, dans cette belle leçon sur le problème de la destinée humaine, où il parcourait à grands traits l’histoire des métamorphoses de notre globe et des créations successives par lesquelles la nature semblait essayer ses forces jusqu’à cette dernière création qui mit l’homme sur la terre : « Pourquoi le jour ne viendrait-il pas aussi, s’écria-t-il, où notre race sera effacée, et où nos ossemens déterrés ne sembleront aux espèces alors vivantes que des ébauches grossières d’une nature qui s’essaie ? » L’effrayante grandeur de l’hypothèse, l’anxiété de