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avec dévotion. À l’entendre expliquer les phénomènes psychologiques, on sentait une méthode toujours agissante. Il nous dit lui-même quelque part qu’il ne s’arrêtait jamais à une idée vague ou à moitié éclaircie, et qu’il s’obstinait jusqu’à ce qu’elle le fût complètement, décomposant l’objet total dans ses parties, fixant l’ordre naturel dans lequel ces parties devaient être étudiées ; cela fait, concentrant toute son attention sur la première, opérant sur elle comme sur l’objet total, analysant, ordonnant les élémens analysés, et concentrant successivement son attention sur chacun, après quoi il passait à la seconde. De cette manière, l’esprit de l’auditeur n’était jamais égaré, les forces du professeur jamais partagées. Il agissait sur chaque point avec toute la puissance de son attention… « On ne saurait croire, ajoute-t-il, combien de difficultés redoutables cèdent à une telle méthode Jet quelle vigueur elle donne à celui qui la soutient jusqu’au bout. » Quand une difficulté résistait trop, il la constatait, la signalait et la laissait à résoudre. Forcé d’avancer, il y avait des questions qu’il se contentait déposer à leur place et qu’il Sabordait même pas, les tenant en réserve pour des occasions meilleures.

Ce que M. Jouffroy dit de sa méthode de travail s’applique avec exactitude à son enseignement, qui n’en était que la manifestation et comme le prolongement. C’était la même observation soutenue par la parole, l’analyse pensée tout haut. Quelquefois la veine intérieure était languissante, sinon tarie, d’autres fois mélangée et troublée. C’étaient les mauvais jours, les heures ingrates et dures. Ces sécheresses de la pensée, qui ne les connaît, qui n’en a mille fois souffert parmi ceux qui sont soumis à la dure nécessité de parler à heure fixe ? Comme d’autres, M. Jouffroy les éprouvait, ces mortelles langueurs. Il savait les vaincre par la force de sa patience et de sa méthode. Il sollicitait discrètement, lentement la source : « quand une fois elle a jailli, disait-il-à ses amis, ou quand la digue est rompue, je ne m’arrête pas et je déborde à flots dans mon sujet. » Il disait vrai, et cette image exprime à merveille la nature de cet enseignement, les qualités rares du maître et les défauts de sa manière.

Tel qu’il était, avec ses savantes lenteurs, ce cours excitait au plus haut degré la sympathique attention des gens de goût. Il laissait de profondes impressions et faisait de chaque auditeur un disciple. Parfois aussi le ton de cet enseignement s’animait, se passionnait presque par la force du sujet choisi et des idées qui en naissaient naturellement. M. Jouffroy n’en cherchait jamais l’occasion, il ne la fuyait pas non plus. L’effet était alors d’autant plus irrésistible, d’autant plus grand, qu’il était rare et qu’il s’imposait à l’auditeur par le développement même du sujet, non par l’ingénieuse