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dans les débats, parce qu’il y avait moins de négations radicales entre les hommes et les idées. Sauf peut-être en littérature, où classiques et romantiques se faisaient une guerre d’extermination, partout ailleurs on recherchait avec ardeur les principes sur lesquels il y avait chance de s’entendre. Quand l’abbé de Lamennais écrivait son Essai sur l’indifférence, il philosophait à sa manière, il faisait un système ; c’était sur une théorie particulière de la certitude qu’il établissait son apologétique paradoxale. Quand les écrivains du Globe, quelques années plus tard, lançaient avec une âpre et brillante passion leurs réquisitoires contre le dogmatisme religieux, ce qu’ils attaquaient au fond, c’était la domination officielle des religions d’état, et du moins les vérités qui sont l’essence religieuse du spiritualisme restaient en dehors de ces vives controverses. De même en politique : les représentans les plus téméraires du progrès n’allaient pas au-delà d’un libéralisme relativement modéré. Et bien qu’ils eussent en face d’eux des préjugés opiniâtres, des illusions rétrospectives, un idéal chimérique de gouvernement patriarcal, le débat se renfermait dans certaines limites ; il n’était pas ouvert sur le principe monarchique lui-même, mais seulement sur l’étendue et la nature des garanties dont il convenait d’entourer l’institution.

Spectacle brillant, même dans sa confusion, que celui d’une telle activité intellectuelle, d’une telle ambition, ardente à la fois et mesurée, de ces grands travaux, de ces beaux rêves ! Si tous ces vastes espoirs ne furent pas remplis, la faute en est à l’immensité de ces espoirs, à la lassitude prématurée de certains talens qui n’allèrent pas jusqu’au bout de leur tâche, et aussi à la politique active qui, de 1830 à 1848, attira presque exclusivement à elle cet essor des intelligences et les absorba. La politique ne rend jamais les conquêtes qu’elle a faites. Parmi les grands esprits de cette époque, les uns trouvèrent tout naturellement dans les affaires de l’état une application nouvelle de leurs rares facultés ; les autres rencontrèrent dans les luttes de la tribune un attrait tout puissant, une distraction enivrante aux études désintéressées qui avaient illustré leur nom ; d’autres enfin, entraînés par les préoccupations publiques, cédèrent à la tentation d’une popularité facile : ils transportèrent la politique dans les lettres, et ce mélange en altéra l’idéale pureté. Mais ces ambitions de la pensée et de l’art, qui avaient passionné pendant dix ans les plus nobles esprits, n’avaient pas été stériles ; même à travers les défaillances des hommes ou les échecs partiels des idées, il reste, de ces grandes tentatives et de ces rencontres d’esprits supérieurs, comme une trace de lumière dans un siècle.