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trottoirs pour les piétons, des marchepieds pour les cavaliers, des lieux de repos pour tous les voyageurs.

Je ne puis prolonger outre mesure les détails de ce genre ; mais, plus on examinera les diverses applications de l’architecture romaine, plus on reconnaîtra combien elles diffèrent des applications de l’art grec. L’ordre toscan est resté particulièrement cher aux Latins, même quand ils ont admis les ordres grecs. L’arc de triomphe est essentiellement romain dans sa conception comme dans ses élémens. L’amphithéâtre est bien plus grandiose que les théâtres grecs, et dès les anciens temps on savait construire en bois des cirques spacieux pour les courses. La tribune aux harangues, décorée d’arcades supportées par des colonnes et de proues de navire armées de leurs éperons, offre un ensemble original dont la Grèce n’a point donné le modèle, et que nous permet d’apprécier la monnaie de la famille Lollia, qui porte le nom du tribun Palikanus. Les tombeaux qui bordent les voies romaines et consacrent pompeusement à travers les vallées et les plaines le souvenir des grands citoyens ont moins de perfection que les tombeaux et les stèles de la Grèce ; mais quel ensemble imposant, quelles proportions colossales, quelle suite non interrompue d’efforts généreux pour fixer la gloire ! Les maisons des citoyens ne ressemblent guère aux maisons grecques, étroites, avec leur gynécée à l’étage supérieur, avec leur petite citerne creusée dans le roc. La demeure patricienne est immense ; elle est bordée par quatre rues ; elle a pris aux Étrusques leur atrium, à quatre colonnes, pour l’agrandir, l’orner fastueusement, y rassembler sous les portiques les images des ancêtres, les trophées de cent victoires, les cliens qui viennent chaque matin s’y entasser pour escorter au forum leur puissant patron.

Je ne saurais trop le répéter, toutes ces réflexions ne s’appliquent point à l’art de l’empire, mais à l’art de la république, avant l’asservissement de la Grèce. On sera donc dans le vrai en reconnaissant aux Romains une indépendance dans leurs emprunts, une liberté dans leurs imitations mêmes, qu’ils ont niée plus tard, soit par dédain pour l’Étrurie, soit par enthousiasme pour la Grèce. On a toujours le droit de récuser un peuple qui se calomnie lui-même. La postérité ne s’y trompe pas, puisqu’elle distingue si nettement les produits de l’art romain de ceux de l’art grec. Jamais nous ne confondrons une statue grecque avec une statue romaine ; jamais une médaille, un vase, un bijou, un ornement, ne nous embarrassent lorsqu’il faut seulement discerner s’ils sont de fabrique hellénique ou de fabrique latine. Quant aux monumens, les connaisseurs les plus superficiels jugent d’un coup d’œil s’ils sont grecs ou romains, et jusque sur le sol de là Grèce on peut signaler à coup sûr les constructions qui datent de l’époque romaine, tant les styles