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que César se sentaient astreints officiellement à l’hypocrisie. Cicéron, qui adorait l’art grec et connaissait si bien tous ses chefs-d’œuvre, parlait avec insouciance des tableaux et des statues volés par Verrès lorsqu’il s’adressait à ses juges : pour les flatter, il jouait l’ignorance ; il paraissait chercher les noms des artistes et ne les point savoir ; le ton ajoutait au dédain. Ce n’était pas seulement une comédie d’avocat, c’était la comédie d’un politique qui ménageait sa popularité.

Ainsi l’art grec n’a point pénétré à Rome sans résistance, et cette résistance n’aurait eu ni gravité ni point d’appui, si les Romains n’avaient possédé déjà un art national. L’étude des monumens jette de sûres clartés sur une question historique singulièrement méconnue. Je ne parle point de la peinture dont les œuvres ont disparu, ni même de la plastique, étrusque d’abord, puis fascinée par la perfection de la sculpture grecque. Cependant l’habitude de mouler le visage des morts, les images en cire des ancêtres conservées dans l’atrium, les statues élevées aux citoyens qui méritaient bien de la patrie, l’orgueil aristocratique aussi intéressé que l’ambition plébéienne à consacrer les personnalités éclatantes, tout a contribué à imprimer aux œuvres qui datent de la république un accent, une réalité, une précision, un sentiment énergique de la nature qui va jusqu’à la dureté, et qui répugnera longtemps à l’idéal doux et enveloppé de la Grèce.

Mais l’art qui exprime le plus puissamment le génie d’un peuple, qui manifeste sa grandeur et satisfait son esprit de domination, c’est l’art de bâtir. Les Romains, en couvrant de leurs constructions le sol italien et bientôt le monde, semblaient en prendre possession pour l’éternité ; le sceau qu’ils imprimaient devait en effet survivre à leur conquête et à leur existence même. Aussi l’architecture romaine est-elle constituée de bonne heure. Elle crée des œuvres originales et grandioses que les Étrusques ne lui ont point enseignées et que les Grecs ne pourront qu’imiter à leur tour. Elle ne cherche point des proportions exquises, ni des détails raffinés ; elle vise à l’utile et au grand. Le temple, ce type que les Hellènes embellissaient et caressaient sans cesse, et qui est l’unité vivante de leur architecture, les Romains le copient simplement, en Étrurie d’abord, plus tard en Grèce. Les dieux sont satisfaits, les rites observés, cela suffit. Les constructions civiles au contraire absorbent toute leur attention ; c’est là qu’ils sont incomparables, c’est là qu’ils deviennent créateurs par la hardiesse de leurs plans et l’étendue de leurs entreprises. Dès qu’il s’agit d’assainir la ville, de la fortifier, d’y amener les sources des montagnes lointaines, de préparer le théâtre des assemblées, d’abriter la vie politique sous toutes ses