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du Brutium, voisin de Crotone, pour couvrir son temple de la Fortune équestre, le sénat le condamne à reporter à l’extrémité de l’Italie toute la toiture qu’il a dérobée. Métellus veut-il dédier deux temples à Jupiter Stator et à Junon, semblables, contigus, faits de marbre, ornés de statues grecques et de peintures exécutées par des artistes grecs, on saisit une occasion puérile pour lui témoigner le mécontentement du parti national et rendre son œuvre incomplète et presque ridicule. Les porteurs s’étaient trompés et avaient placé la statue de Junon dans le temple destiné à Jupiter, celle de Jupiter dans le temple destiné à Junon. Les pontifes s’opposèrent à tout changement. « Les dieux avaient manifesté leur volonté, dirent-ils, » et les temples continuèrent de présenter un contraste choquant entre les sujets des peintures qui les décoraient et les divinités qui les occupaient. Le temple du Capitole a-t-il brûlé, le tout-puissant Sylla lui-même n’osera pas en changer le plan et l’aspect. En vain Rome est devenue grecque ; il s’agit du grand sanctuaire national, et l’amour de l’architecture grecque cède au sentiment patriotique. On copie l’ancien temple avec ses proportions lourdes, sa façade basse et large, on en reproduit l’ordonnance et les détails : la seule différence, c’est la beauté, des matériaux. Pompée veut-il flatter les passions du peuple romain en construisant un théâtre en pierre, il rencontre une résistance sage et politique chez ceux qui défendent les anciens usages et savent qu’un théâtre permanent ne peut que détourner les citoyens des affaires publiques en les accoutumant à de perpétuels plaisirs. Il ne surmonte même cette résistance qu’en faisant bâtir un temple à Vénus victorieuse au sommet du théâtre, qui devenait ainsi un lieu sacré, de même que les gradins destinés aux spectateurs devenaient les degrés du sanctuaire.

César, le plus adroit et par cela même le plus coupable des ambitieux, connaissait bien les scrupules du parti conservateur : il feignait de les partager ; il respectait des préjugés qui lui paraissaient sans importance, afin de renverser plus sûrement les lois essentielles de l’état. Quand il bâtit le temple de Venus Genitrix, il voulut qu’il fût conforme à l’ancien style ; les colonnes étaient rapprochées, pesantes, nous dit Vitruve. César étalait ainsi une rigidité qu’il jugeait convenir à sa dignité de grand pontife ; il affectait le respect des traditions, et ce jeu semble s’être perpétué après sa mort, car le temple que les triumvirs lui élevèrent sur le Forum, à la place même où le bûcher avait consumé son corps, était également d’ancien style.

Du reste, la puissance de l’opinion était telle, le vieil esprit romain protestait si vigoureusement, que des hommes plus honnêtes