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À la tête des premiers était Marcellus, qui remplit Rome des dépouilles de Syracuse et qui était passionné pour l’art grec, la famille des Scipions, Paul-Émile, les Flamininus, les Fulvius ; à la tête des seconds, Caton, Fabius Maximus, Mummius et d’autres. Le peuple reprochait à Fabius de n’avoir pas apporté à Rome les statues qui ornaient Tarente conquise. « Laissons aux Tarentins leurs dieux irrités, » répondait dédaigneusement Fabius, qui comptait cependant un peintre et un savant parmi ses ancêtres ; mais ce peintre et ce savant avaient été inspirés uniquement par l’esprit national. On a souvent tourné en ridicule la recommandation de Mummius aux entrepreneurs qui se chargeaient de transporter à Rome le butin de Corinthe. Pour moi, je serais beaucoup plus porté à ne voir dans la menace de Mummius que du mépris affecté et de l’ironie. Les hommes nouveaux, Cicéron et ses amis, se jetaient avec ardeur au-devant de la Grèce, sentant que ses lumières et son libre génie abaisseraient devant eux les barrières. L’aristocratie, par le même motif, s’attachait aux vieux usages, et en vérité, si nous oublions un instant notre respect filial pour la Grèce et nous plaçons au point de vue des hommes d’état de Rome, le parti conservateur avait raison. L’amour de l’art grec allait servir de voile à la soif immodérée des richesses et de prétexte à d’incroyables rapines. Le procès de Verrès ne sera pas seulement un grand scandale, ce sera aussi l’explosion du mal qui atteint toute la société romaine. Les orateurs qui se prétendaient incorruptibles à l’or se laisseront gagner par le don de quelque chef-d’œuvre venu d’Athènes ou d’Égine. Les proconsuls pilleront les provinces au nom de leur passion pour le beau. Les particuliers se procureront par tous les moyens les sommes nécessaires pour payer un vase myrrhin ou une petite planche peinte par Apelle. À la suite des œuvres du grand art s’introduiront les meubles précieux, les raffinemens de l’industrie, l’attirail des festins, les plaisirs enivrans, et du même coup le faste, la mollesse, la corruption. L’histoire n’a que trop justifié les prévisions des sages et les craintes des cœurs républicains. La découverte des bacchanales et des sanglantes orgies professées par les Grecs sur l’Aventin fut une lueur terrible.

Il faut avoir présentes ces considérations d’un ordre plus élevé pour s’expliquer l’opposition acharnée et parfois mesquine du sénat à, l’invasion morale de la Grèce. Marcellus a-t-il bâti un temple à la Valeur et désire-t-il le consacrer en même temps à l’Honneur, on l’arrête, on lui objecte les rites nationaux qui s’opposent à ce qu’on réunisse deux divinités dans un seul sanctuaire, et l’architecte de Marcellus est obligé de refaire et de doubler le temple. Fulvius Flaccus a-t-il enlevé les belles tuiles de marbre d’un temple