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d’une empreinte forte, grandiose, nationale. Ce ne furent point les Étrusques qui leur apprirent à bâtir avec des blocs de rochers de forme polygonale des voies admirables qui devaient éternellement durer. L’arc plein-cintre et la voûte leur furent transmis par les architectes toscans ; mais on ne trouve en Toscane ni les aqueducs magnifiques, à trois étages superposés, ni les ponts qui ont bravé l’effort du temps et qu’on voit encore à Rome, ni les arcs de triomphe, ni les tunnels et les cloaques gigantesques que la république a construits. Comment donc s’étonner si le génie romain, devenu plus puissant et plus mâle, a réagi sur l’art grec à son tour, se l’est assimilé, a profité de sa richesse et de sa splendeur, en le pliant à ses besoins, à ses convenances, à sa sévérité ? Tout était instrument dans les mains de Rome ; les autres civilisations étaient ses tributaires ; elle y prenait son bien, et tout venait se fondre dans le creuset de la grandeur romaine.

Les historiens latins contiennent de trop rares détails sur les arts pour qu’il soit facile d’alléguer les preuves de ce que j’avance ; mais la rareté même des faits de ce genre rend plus significatifs ceux qu’on peut recueillir. Jusqu’à la guerre de Pyrrhus, les Romains connurent mal les Grecs : quoiqu’ils eussent envoyé des ambassadeurs copier à Athènes les lois de Solon, ils méprisaient trop les étrangers pour les étudier. Ils avaient quelques rapports avec les colonies grecques du sud de l’Italie, ils n’en avaient point avec la Grèce proprement dite. Rien ne montre mieux leur ignorance des affaires helléniques que le rapprochement de deux statues érigées en plein comice, au-dessus du Forum, de manière qu’elles présidaient en quelque sorte à la majesté des assemblées politiques. L’une des statues représentait Pythagore, un voisin, le grave législateur du sud de l’Italie, et ce choix était digne de Rome. L’autre représentait Alcibiade, l’efféminé, le dissolu, le contempteur des dieux et des lois de la patrie, que les Romains se figuraient sans doute aussi sage que Pythagore et dont ils n’entendirent parler que lorsqu’il arriva en Sicile à la tête des Athéniens. Peut-être Alcibiade avait-il séduit leurs ambassadeurs par sa personne et par ses belles promesses.

C’est après la conquête des riches colonies de la Grande-Grèce que l’on doit chercher les traces d’une résistance réfléchie à l’art grec. Les esprits étaient partagés, il est vrai : les uns se jetaient avec ardeur au-devant du génie grec, convoitaient ses chefs-d’œuvre, étudiaient ses principes ; les autres accueillaient avec défiance les produits même merveilleux d’une civilisation qui ne leur apparaissait qu’épuisée et corrompue. Le luxe, la mollesse, la débauche, leur semblaient le cortège inséparable d’un art trop raffiné.