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le surnom de peintre (pictor) et décorer de ses mains un temple tout entier ? Le poète tragique Pacuvius, neveu du grand Ennius, suit son exemple et peint le temple d’Hercule. L’architecture surtout, qui est l’expression d’un peuple et la manifestation directe de sa grandeur, fut encouragée par les Romains. Tout était prétexte pour élever un monument, et l’émulation redoublait dès qu’il s’agissait de le consacrer. Le lendemain de la fondation de la république, les consuls se disputent le droit d’inaugurer le temple de Jupiter Capitolin. La querelle ne sera pas moins vive entre Servilius et Appius Claudius pour la dédicace du temple d’Hercule l’an de Rome 493. Après la victoire du lac Régille, on bâtit un temple à Saturne, un autre aux Dioscures. Spurius Cassius, pour frapper l’imagination du peuple, construit à ses frais un temple somptueux et le dédie à Cérès. Il est mis à mort : aussitôt le sénat prélève sur ses biens confisqués une somme considérable afin de faire couler en bronze une statue de la déesse. Appius Claudius, à son tour, fait édifier le temple de Bellone, et obtient ainsi le droit d’y suspendre les portraits de ses ancêtres peints sur des boucliers. Les auteurs anciens nomment trente et un temples bâtis par la république avant la conquête de la Grèce, et ce nombre sera au moins doublé, si l’on considère ceux qu’ils ont dû omettre, puisqu’ils ne citent les monumens qu’incidemment, pour préciser une date, alléguer un fait, encadrer un récit. Outre les temples, les grands travaux d’utilité publique qui caractérisent l’art romain, les vastes édifices qu’exigent les affaires et les plaisirs d’un peuple libre, sont entrepris avant la conquête de la Grèce, voies, ponts, aqueducs, cloaques, émissaires, forums, curies, cirques, monumens honorifiques, avenues de tombeaux prolongées à travers la plaine de Rome. Les Romains ont eu bien tort de répudier leur passé quand ils se sont laissé enivrer par les séductions de l’art grec. Non, ils n’ont point été des barbares pendant cinq siècles ; non, ils n’ont pas méprisé les arts et vécu sous le chaume, ou sacrifié dans des sanctuaires grossièrement préparés ; non, ils n’ont pas repoussé les œuvres de la sculpture, les bronzes soigneusement ciselés, les meubles élégans, les bijoux, et même les produits de l’industrie étrusque, sans cesse importés et bientôt fabriqués à Rome. Les Romains ont subi l’influence salutaire que l’art d’un peuple exerce sur l’art de voisins moins avancés ; ils ont reçu beaucoup des Étrusques, ils se sont approprié énergiquement ce qu’ils ont reçu, et je vais essayer d’expliquer pourquoi l’art grec, avant d’être triomphant, a rencontré chez les Latins une opposition raisonnée qu’on pourrait croire nationale.