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Varron, qui nous assure que de son temps tous les temples étaient remplis d’objets d’art venus d’Étrurie. Le pillage les avait accumulés autant que le commerce, puisque de la seule ville de Vulsinii l’armée romaine avait rapporté deux mille statues. Rome elle-même devait avoir l’aspect d’une ville étrusque avant d’être brûlée par les Gaulois ; c’est pourquoi les citoyens, au lieu de remuer des montagnes de cendres et de rebâtir une cité entière, trouvaient naturel de transférer la capitale à Véies, prise récemment et dépeuplée. Rien ne les choquait, rien ne leur paraissait insolite et gênant dans une ville étrusque : ils se trouvaient chez eux. Il fallut toute l’éloquence de Camille et tous les efforts du sénat pour retenir les Romains sur le sol natal et leur faire reconstruire leurs maisons. L’incendie des Gaulois fut pour Rome ce que l’incendie de Xerxès avait été pour Athènes : l’occasion de se relever en désordre, à la hâte, mais rajeunie, plus belle, et bientôt parée de chefs-d’œuvre.

Il ne faut donc pas admettre sans réserve le paradoxe de la simplicité républicaine et les déclamations banales contre la grossièreté de l’aristocratie romaine. Les patriciens de Rome, s’ils n’eurent que tard le goût du luxe et des jouissances personnelles, eurent toujours l’amour de la grandeur publique ; ils ne reculaient devant aucun sacrifice dès qu’il s’agissait de l’éclat de leur ville. Selon l’expression du poète, leurs ressources privées étaient modiques, leurs ressources publiques immenses. Les dépouilles des vaincus alimentaient sans cesse le trésor. Les magistrats tenaient à honneur de se ruiner pour justifier leur élection ou pour gagner de nouveau les suffrages du peuple. Un patriotisme passionné, le désir de se concilier la faveur des dieux, des vœux ou des superstitions profitables à l’art, un noble orgueil qui voulait immortaliser une victoire ou rappeler les services rendus par les ancêtres, la nécessité d’occuper les plébéiens et de leur distribuer des salaires mérités, tout contribuait à faire entreprendre par les chefs de l’état de belles constructions en temps de paix, de grands travaux en temps de guerre, car l’armée romaine était une armée d’ouvriers, prompte à construire les voies, les ports, les aqueducs, soumise encore à la corvée des Étrusques, quoique cette corvée fût ennoblie par l’égalité militaire et par la discipline. Je ne puis m’empêcher de voir dans l’aristocratie de Rome le type de ces fortes aristocraties qui ont illustré les républiques italiennes au moyen âge, la république de Venise notamment, dont les chefs accroissaient la splendeur aux dépens de tout l’Orient. Dans le principe, les patriciens romains confondaient peut-être les artistes avec les artisans, mais ils aimaient l’art. N’est-ce pas un fait singulièrement significatif que de voir un Fabius, c’est-à-dire un membre de la plus illustre famille, obtenir