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la largeur. Le sanctuaire de Jupiter est au milieu, plus spacieux que ceux de Junon et de Minerve, qui sont adjacens. Les colonnes, les chapiteaux, l’entablement, les frontons en charpente, l’assemblage et la décoration, tout est étrusque, de sorte que l’on trouve déjà constituées à Rome les trois applications de l’art de bâtir, c’est-à-dire l’architecture militaire, l’architecture civile et l’architecture religieuse. Or, du moment que l’architecture était importée d’une manière aussi complète, on peut augurer que les arts plastiques, encore dans l’enfance, étaient soumis aux mêmes conditions.

Aussi ni les Romains ni les historiens modernes n’ont-ils nié l’influence de l’Étrurie sous les rois, mais ils l’ont présentée comme un accident qui cesse avec la royauté. « Les Étrusques partis, l’art disparaît. La république, avec son cortège de vertus et de pauvreté, ramène une sorte de barbarie. On prend en haine les Étrusques aussi bien que les Tarquins, l’art et la délicatesse à l’égal de la tyrannie. Les monumens élevés pendant la période royale rappellent au peuple ses souffrances et le temps où il subissait la corvée ainsi que des prolétaires toscans. Denys d’Halicarnasse ne fait-il pas dire à Brutus dans sa harangue au peuple : Les Tarquins vous forçaient, comme des esclaves achetés, à mener une vie misérable, taillant la pierre, coupant le bois, portant d’énormes fardeaux, et passant vos jours dans de sombres abîmes (les cloaques et les carrières) ? Ne racontait-on pas que plusieurs citoyens romains s’étaient tués pour échapper à tant de misère, mais que le cadavre des suicidés, attaché à une croix, avait été livré aux vautours, la persécution s’étendant au-delà de la mort ? »

Ainsi le poids intolérable de ces gigantesques entreprises aurait contribué autant que l’insolence superbe des Tarquins et le viol de Lucrèce à faire éclater la révolution. Je me garderai bien de soutenir le contraire, et je crois même, par l’exemple des temps modernes et du règne de Louis XIV notamment, que les travaux qui doivent exciter l’admiration de la postérité sont parfois odieux aux peuples qui les exécutent, car le despotisme, pressé de jouir, n’admet ni répit, ni économie, ni lenteur sagement mesurée. Toutefois Rome n’aurait point songé à secouer le joug des Tarquins, si les événemens n’avaient servi ses projets d’affranchissement. La fin du VIe siècle avant Jésus-Christ fut une ère de liberté pour la plus grande partie du monde antique ; les colonies grecques de l’Asie-Mineure, Athènes et la plupart des villes de la Grèce, les riches cités du sud de l’Italie et de la Sicile, sont agitées par un souffle généreux, et s’efforcent de reconquérir leurs droits. Partout les aristocraties sont abaissées, les tyrans renversés, et ce mouvement, qui se propage comme la flamme, marque l’aurore du grand siècle