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et de ses infortunes lui valut un accueil enthousiaste. Cette assemblée de chefs qui continuait, on l’a dit, à s’intituler fièrement le sénat de Lacédémone, lui décerna le titre de protogéros ou premier sénateur, titre qui entraînait avec lui une sorte de pouvoir suprême, et qui se transmit héréditairement à partir de ce jour dans la famille de Comnène. De nombreuses traditions locales ont perpétué la mémoire de cette période parmi les habitans du Magne. Le troisième protogéros, Étienne Ier, est celui dont les chroniques populaires ont gardé le plus de souvenirs. Ces chroniques le représentent comme doué d’une bravoure surprenante, d’une remarquable beauté, d’une force exceptionnelle, passionné pour la guerre, avide de gloire. Sous son règne (1537), les Turcs parvinrent jusqu’aux portes de Vitulo ; une mêlée terrible s’engagea et dura, dit-on, deux jours et deux nuits. Malgré des prodiges de valeur, la bataille restait indécise. Étienne, voyant les siens faiblir et commençant à craindre une défaite, fit vœu d’élever à ses frais un monastère dédié à la Vierge, s’il triomphait de l’ennemi. À ce moment même, un secours inopiné lui survint. Gerakari, fille d’un archonte, qui ouvre la série des héroïnes populaires dans le Magne, se précipite à grands cris sur le champ de bataille, à la tête des femmes de Vitulo ; elle ranime par ses paroles et son exemple le courage chancelant de ses compatriotes, et contribue vaillamment à rejeter les Turcs à la mer. Étienne Ier ne manqua pas d’accomplir son vœu, et fit construire à une petite distance au nord de Vitulo un monastère dont la majeure partie est aujourd’hui en ruine. Un membre de sa famille, du nom d’Alexis, entra dans les ordres et se retira dans ce cloître. Il se fit remarquer par sa piété et acquit une grande réputation de sainteté. On raconte qu’après sa mort des miracles eurent lieu sur sa tombe, et c’est en invoquant son nom que le superstitieux paysan vient encore, pour se guérir de quelque maladie ou se soustraire à quelque sortilège, boire l’eau glaciale de l’agiasa, ou source sacrée qui coule au pied du monastère. Lorsqu’une contagion sévit dans cette partie du Magne, les habitans prétendent que le bon moine, comme ils l’appellent, apparaît dans le ciel une torche à la main et dissipe le fléau.

À la suite de nouvelles victoires, Étienne Ier acquit une renommée qui lui suscita d’implacables jalousies. Il périt sous le poignard d’un assassin payé par ses rivaux (1545). Les annales populaires du Magne, qui se plaisent, pour grandir ce héros, à rapporter à lui tous les souvenirs qu’elles ont conservés de l’ère des Comnènes, donnent une autre version au sujet de sa mort. Un village des environs du Ténare s’étant révolté, Étienne partit avec un petit nombre de ses partisans pour faire rentrer les rebelles dans le devoir. Trahi