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plus, aux yeux du public, elle devenait solidaire des entreprises revêtues de la forme privilégiée de l’anonymat. Le bon sens disait depuis longtemps qu’il fallait du même coup rendre à l’esprit d’entreprise sa responsabilité et sa liberté, dégager aussi l’administration de solidarités qui peuvent parfois devenir fâcheuses. C’est, nous dit-on, le parti qu’on aurait pris dans le nouveau projet de loi. La société anonyme serait rendue au droit commun, et les conseillers d’état seraient délivrés de la tâche ingrate d’avoir à délibérer sur des combinaisons commerciales étrangères à leurs études et à leurs travaux réguliers.


E. FORCADE.


THEATRES.

La Belle au Bois dormant, drame en cinq actes et sept tableaux, par M. Octave Feuillet.


La critique a bien des mauvaises fortunes, mais il n’en est pas de plus désagréable ni qui mette celui qui l’exerce à une plus rude épreuve que la nécessité d’exprimer à un moment donné un jugement ou défavorable ou sévère sur un écrivain dont on aime le talent, dont on a parlé jusqu’alors dans les termes mérités de l’éloge, on qu’on a défendu contre les attaques injustes dont il était l’objet. Le sentiment qu’on éprouve alors est presque celui de l’amour-propre blessé, et l’on en veut à l’auteur de n’avoir pas fait un chef-d’œuvre comme d’un mauvais procédé. C’est un peu ce qui nous arrive aujourd’hui avec M. Octave Feuillet. Après le succès de son drame si hardi de Montjoye, nous pensions que désormais nous n’aurions plus qu’à hausser progressivement avec chaque œuvre nouvelle le ton de nos éloges ; la Belle au Bois dormant nous force au contraire à le baisser. Voilà une mauvaise action, et dont nous garderions presque rancune, si nous n’étions sûr que le premier roman ou le premier drame de l’auteur nous donnera amplement satisfaction.

Ce que le drame de M. Feuillet a de plus grave, c’est l’embarras dans lequel il jette la critique. Après l’avoir entendu, l’esprit reste muet et un peu incertain. Il n’ose approuver complètement, il n’ose pas davantage blâmer. Le sentiment qu’il éprouve est celui de l’insatisfaction ; je demande pardon du mot, mais je suis obligé de le créer pour rendre mon impression. L’action est violente et dramatique, et cependant on en suit avec fatigue les développemens ; les caractères sont assez forts, et cependant ils n’appellent pas la sympathie et ne sollicitent pas la controverse. On accepte d’eux ce qu’on en comprend, et, ce qu’on n’en comprend pas,