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s’abandonnent à toute leur douleur ; si elles reconnaissent au contraire qu’ils ont été blessés par derrière, tournant le dos à l’ennemi, elles brûlent aussitôt les habits et les armes du lâche, et ne versent pas une larme. Le vol, lorsqu’il est opéré avec adresse, courage et succès, tourne à la gloire plutôt qu’à la honte de celui qui l’a commis ; la plus forte peine qui lui soit appliquée est l’excommunication lancée pendant l’office divin par le prêtre contre le voleur à la requête du volé. Il arrive souvent, m’a-t-on assuré, que le coupable, effrayé de cette excommunication, restitue de lui-même le fruit de son larcin. Le meurtre était autrefois puni d’un exil perpétuel, lorsqu’il n’était pas le dénoûment d’une vendetta publiquement déclarée. Il arrivait aussi que, par une générosité étrange, les pa-rens consentaient à rappeler l’assassin, lorsque le père de famille, devenu vieux, avait besoin d’un bras jeune et vigoureux pour défendre son domaine, soutenir l’honneur militaire de son nom et conduire ses hommes d’armes au combat. En ce cas, le père cherchait à découvrir la retraite du meurtrier de son fils, le faisait venir, l’invitait à un banquet où les membres des deux familles étaient conviés, et lui disait : « Tu m’as privé de mon fils, je t’appelle à le remplacer ; dès ce moment, je t’adopte. » Adoption qui nous semble révolter la nature, mais qui est après tout conforme au caractère farouche et dur de ce peuple, qui tient peu de compte de la vie humaine, et dont le sentiment est avant tout guerrier et patriotique.

La vendetta est la passion dominante du Maïnote ; elle absout chez lui tous les crimes, et a fait couler dans le Magne autant de sang que la guerre contre les Turcs. Celui qui épouse une femme qui a du sang, c’est-à-dire dont la famille a un devoir de vengeance à accomplir, épouse en même temps ce devoir, et la vendetta se transmet ainsi de génération en génération. Outrager l’honneur des femmes, les maltraiter, les séduire, ce sont des crimes que le code maïnote ne pardonne pas, et qu’il poursuit encore aujourd’hui de sa plus implacable rigueur. Tout séducteur est considéré comme un ennemi public ; la fuite peut seule le soustraire à une mort certaine. Quant à la femme séduite, son mari la met à mort ; si le mari est absent, le père ou le frère use impitoyablement de ce droit. Si la coupable est une jeune fille, un axiome populaire dit que le séducteur ne peut racheter sa faute qu’en donnant au père un taureau assez grand pour boire dans la mer du haut de la cime du mont Saint-Hélie. En réalité, les coutumes maïnotes admettent un moyen bien plus simple de réparer le mal, un prompt mariage. Si le jeune homme est trop pauvre pour se marier, il n’a plus qu’une ressource pour désarmer la main prête à le frapper, lui et sa victime :