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successive et naturelle des organes il est le dernier à manifester ses fonctions. En un mot, suivant l’expression du grand Haller, le cœur vit le premier (primum vivens) et meurt le dernier (ultimum moriens). Dans cette extinction de la vie de l’organisme, le cœur agit encore quand déjà les autres organes font silence autour de lui. Il veille le dernier, comme s’il attendait la fin de la lutte entre la vie et la mort, car tant qu’il se meut, la vie peut se rétablir ; lorsque le cœur a cessé de battre, elle est irrévocablement perdue, et de même que son premier mouvement a été le signe certain de la vie, son dernier battement est le signe certain de la mort.

Les notions qui précèdent étaient nécessaires à donner, car elles nous aideront à mieux faire comprendre l’action du système nerveux sur le cœur. Nous devons déjà pressentir que cet organe musculaire possède la propriété de se contracter sans l’intervention de l’influence nerveuse ; il entre en fonction bien avant que le système nerveux ait donné signe de vie. Il y a même plus, les nerfs peuvent être très développés et constitués anatomiquement sans agir encore sur aucun des organes musculaires qui sont eux-mêmes déjà développés. En effet, j’ai constaté par des expériences directes que les extrémités nerveuses ne se soudent physiologiquement aux systèmes musculaires que dans les derniers temps de la vie embryonnaire. Lorsque, après la naissance, le système nerveux a pris son empire sur tous les organes musculaires du corps, le cœur se passe néanmoins de son influence pour accomplir ses fonctions de moteur circulatoire central. On paralyse les muscles des membres en coupant les nerfs qui les animent, on ne paralyse jamais les mouvemens du cœur en divisant les nerfs qui se rendent dans son tissu ; au contraire, ses mouvemens n’en deviennent que plus rapides. Les poisons qui détruisent les propriétés des nerfs moteurs abolissent les mouvemens dans tous les organes musculaires du corps, tandis qu’ils sont sans action sur les battemens du cœur. J’ai décrit dans la Revue[1] les effets du curare, le poison paralyseur par excellence des systèmes nerveux moteurs ; on se souvient que le cœur continue de battre et de faire circuler le sang dans le corps d’un animal absolument privé de toute influence nerveuse motrice.

De tout cela devons-nous conclure que le cœur ne possède pas de nerfs ? Cette opinion, à laquelle s’étaient arrêtés d’anciens physiologistes, est aujourd’hui contredite par l’anatomie, qui nous montre que le cœur reçoit dans son tissu un grand nombre de rameaux nerveux. Ce n’est donc pas à l’absence de nerfs qu’il faut attribuer toutes les anomalies que le cœur nous a offertes jusqu’à

  1. Voyez la livraison du 1er septembre 1864.