Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le naturel, tout ce qui manquait chez lui à l’écrivain et à l’homme lui apparut dans la personne d’Hortense et se fit aimer. « Si vous avez eu dessein de reconnaître combien vous êtes nécessaire au monde, écrit-il à Mme Mazarin, qui s’est pour quelques jours retirée à Chelsea, vous pouvez satisfaire votre curiosité dans votre petite absence » Il y a un concetta espagnol que je vous appliquerais, si je ne haïssais trop le style figuré. « Quand le soleil s’éclipse, dit l’auteur du concetto, c’est pour faire connaître au monde combien il est difficile de se passer de lui, » Votre éclipse fait sentir la difficulté qu’il y a de vivre sans votre lumière. »

Ce fut ainsi qu’il l’aima, et cette passion tardive, qui ne se traduit que par des déclarations littéraires, qui le rend même légèrement ridicule, donne cependant à sa figure cette expression attendrie qui lui manque d’ordinaire. Il devient le souffre-douleur de la fantasque duchesse, son poète, son secrétaire. C’est lui qui compose les lettres qu’elle ne veut point écrire par paresse, et qu’elle ne trouve jamais assez spirituelles quand un autre en prend la peine. C’est lui qui doit répondre au plaidoyer de M. Érard, avocat du Mazarin, ayant soin de n’épargner ni l’avocat, ni surtout le mari. C’est lui qui débrouille les inextricables affaires d’argent, négocie les emprunts, expose à la duchesse de Bouillon le misérable état où se trouve la duchesse Mazarin, sa sœur, et rend compte de ces commissions à sa prodigue et besogneuse cliente ; « Vous m’avez commandé d’écrire, et j’ai écrit. Vous m’avez commandé d’écrire en Normand, et je m’en suis si bien acquitté que je défie M. de Saissac de connaître si vous vous louez de ses diligences, ou si vous vous plaignez qu’il se soit contenté de vous donner des soins inutiles quand vous pourriez attendre des effets de ses promesses. » Il ne serait malheureusement que trop aisé de multiplier des citations de ce genre, qui prouveraient que cette Italienne, à laquelle Saint-Évremond reprochait de s’abandonner à « la généreuse franchise » de sa nation, se laissait entraîner quand il s’agissait d’affaires à une habileté presque normande. Saint-Évremond devient un peu pour elle ce qu’était pour Chicaneau

Un grand homme sec, là, qui me sert de témoin,
Et qui jure pour moi lorsque j’en ai besoin.

Pour en finir avec ces procès et ces affaires, qui tiennent une grande place dans la vie de Saint-Evremond du jour où il eut connu la duchesse Mazarin, citons seulement un dernier trait. Il avait jadis prêté de l’argent à Ninon, et comme Ninon se faisait un devoir de rendre les cassettes, elle le lui renvoya quand il le réclama. Il serait curieux que cet argent eût passé des mains de Ninon dans