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avait frappé les exploitations d’impuissance. Les anciens procédés y étaient tombés en désuétude, les nouveaux n’y avaient pas été introduits. C’étaient autant d’éducations à faire, d’établissemens à fonder, de spéculations territoriales à entreprendre. Il fallait distribuer des semences, des machines perfectionnées, envoyer des moniteurs agricoles ou à leur défaut des documens en diverses langues pour mettre les natifs à même de diriger les cultures et les préparations subsidiaires du produit. Dans le cours de quatre années, cet effort a été fait et cette révolution s’est accomplie. Les Indes orientales, l’Égypte et la Turquie, réveillées de leur sommeil, ont succédé à l’Amérique dans le contingent principal de l’approvisionnement du coton ; elles ont pris goût à leur tâche et se sont efforcées de la bien remplir. Pour les quantités, la question est, sinon résolue, du moins très avancée. Des calculs précis portent à près de 2 millions de balles les dernières récoltes de ces trois pays, et des terres ont été préparées pour accroître d’un tiers dans l’année qui s’ouvre le chiffre des ensemencemens. Les quantités en perspective seraient dès lors de 2,500,000 balles, dont 1,600,000 pour les Indes, 300,000 pour l’Égypte, 200,000 pour la Turquie ; la Chine et le Japon fourniraient le complément de 400,000 balles, en y ajoutant comme appoints le Brésil, les Antilles et l’Afrique. Cette récapitulation est significative. Sous l’aiguillon de l’urgence, le fonds de l’approvisionnement se serait reconstitué en quatre ans, en dehors et à l’exclusion de la provenance américaine. Les 2,500,000 balles qui sont à prochaine échéance et ne sauraient être le dernier mot des cultures régénérées représentent en effet très amplement les 3,500,000 balles que le monopole des États-Unis avait atteintes avant de s’éclipser. D’un côté, par l’effet de la hausse des prix, la consommation des tissus de coton s’est considérablement ralentie ; de l’autre, les tissus de laine et de lin ont de plus en plus envahi une place devenue vacante. Moins de demande du produit a dû nécessairement amener moins de besoin de la matière brute. Au fond et de toutes les manières, c’est cause gagnée. L’Europe, à la rude école de la nécessité, a vite appris à se passer de l’Amérique. Celle-ci aura fort à faire pour se remettre en ligne et rétablir ses avantages, si la paix se conclut.

Qu’arriverait-il dans ce cas ? Le champ est ouvert aux conjectures ; mais le sentiment qui domine est une inquiétude vague sur les conséquences de l’événement. À première vue et la période de transition étant mise à l’écart, le retour de la paix devrait être salué par une acclamation universelle. La paix, dans son influence définitive, est la rentrée des territoires les plus favorisés qu’il y ait au monde dans la fonction de l’approvisionnement, c’est la livraison