Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette condition serait admise, l’Union se déclarerait vaincue et aurait signé sa déchéance. Elle n’en est pas là, Dieu merci !

Cependant toutes les surprises sont possibles. Une fantaisie nouvelle semble s’être emparée de l’esprit des Américains : c’est de s’arranger entre eux tant bien que mal, pour prendre des revanches ailleurs. Cette fantaisie passera, si elle n’est que superficielle ; si elle était profonde et qu’elle persistât, il faudrait s’attendre à une paix mal faite. Dans un cas comme dans l’autre, il est bon de se tenir préparés aux événemens. Notre politique comme nos intérêts ne manqueraient pas de s’en ressentir. Je ne m’occuperai que des derniers. Ils sont fortement engagés dans le dénoûment de ces querelles intestines. Pour les spéculations commerciales, ce serait l’occasion et le signal d’une crise, pour nos manufactures de coton le brusque retour de l’avilissement des prix, pour nos ouvriers la garantie d’un travail plus suivi et plus régulier. Ce qui touche tant d’existences et tant d’affaires ne saurait nous être indifférent.


II

Pour se rendre compte du coup que porterait à notre marché du coton le rétablissement dans des conditions régulières de l’approvisionnement américain, il importe de jeter un coup d’œil en arrière et de voir où en étaient les choses lorsque cet approvisionnement a été supprimé. En réalité, il avait éteint presque toutes les concurrences, et à lui seul suffisait à l’activité de nos manufactures. Les produits dont il se composait avaient une supériorité avérée : ils arrivaient à jour fixe, et en quantités telles que la faculté du choix était toujours assurée. L’Europe en employait 3 millions 1/2 de balles. À ces motifs de préférence venait s’ajouter la modicité de plus en plus grande des prix. Dans les années d’abondance, la dépréciation avait été poussée si loin qu’un moment on avait pu obtenir des cotons de qualité courante à 40 centimes le demi-kilogramme. Ce n’était là qu’un cours d’exception et à peine rémunérateur ; mais la valeur moyenne, dans une période décennale, avait oscillé entre 50 et 55 centimes le demi-kilo, qui semblaient suffire aux planteurs pour couvrir leurs frais et recueillir un légitime bénéfice. Les habitudes étaient prises dans ce sens, affermies de jour en jour par un avantage réciproque, et rien ne laissait prévoir d’autre altération dans le cours des choses que les variations presque insensibles qu’apportaient sur les marchés les vicissitudes des récoltes.

C’est au milieu de cette confiance qu’éclata la rupture des états à