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les plus grandes difficultés d’un arrangement. Tout détail sera un obstacle : le chiffre de l’indemnité, si le principe en est admis ; le mode d’exécution, soit que les états en demeurent chargés, soit que la puissance fédérale se l’attribue ; les garanties pénales contre les résistances individuelles ou collectives, les délais de l’affranchissement. Que d’occasions de dissentimens ! quel aliment pour l’esprit d’animosité ! A la guerre ouverte succédera une guerre d’embûches où le nord aura affaire à forte partie. Il est de toute évidence et ses actes en font foi que, dans ce débat d’où le salut du pays dépend, M. Lincoln ne reproduira plus la combinaison platonique qui ajournait à la fin du siècle la délivrance des noirs. Point de repos à attendre, après ce long déchirement, si ce n’est dans une exécution simultanée et immédiate. Rien ne sera terminé avec le sud tant que les dernières chaînes de l’esclavage n’y seront pas brisées. Tout délai serait pour les uns une issue ouverte à de nouvelles trahisons, pour les autres la nécessité de rester en armes afin de les conjurer. L’affranchissement immédiat répond seul à ces pièges d’une paix captieuse. C’est le gage que le sud doit fournir, le seul qui soit solide et sur lequel il n’y ait plus à revenir, le seul aussi qui puisse délivrer l’Union des charges militaires qui l’obèrent depuis cinq ans. La fatalité le veut ainsi, et tant qu’il lui restera un homme et un fusil, le sud se débattra sous son étreinte. Dans la partie où il s’est témérairement engagé, il a joué non-seulement ses prérogatives, mais ses destinées. L’esclavage lui avait ménagé une existence commode que l’émancipation devait renverser de fond en comble. Le jour où ce travail des cultures qu’il imposait le fouet en main ne s’exécuterait plus qu’à des conditions débattues, il n’en tirerait plus ni les mêmes jouissances ni le même profit ; il serait alors obligé de fléchir, lui devant qui tout fléchissait.

En se pénétrant de ces faits, on comprend à quel point un arrangement librement consenti offre de difficultés et d’incertitudes. Jusqu’ici les émancipations qui se sont succédé ont eu lieu contre le gré des possesseurs d’esclaves ; l’autorité de la métropole les imposait à des colonies dépendantes. Pour la première fois il s’agit d’en régler les conditions avec des maîtres qui y résistent et qui ont pris les armes pour défendre le régime du travail auquel leur fortune est attachée. C’est un grand spectacle et une noble entreprise, mais ce n’est pas l’œuvre d’un jour ni d’une conférence. Les intérêts et les passions ne transigent pas aisément, et tant qu’il leur reste une lueur d’espoir, ils rejettent le masque et font de nouveau appel à la force.

La force, cet argument décisif, où est-elle aujourd’hui ? Longtemps