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s’est trop accoutumé à regarder ces événemens lointains comme un spectacle dont on supporte mal les longueurs ; le désir qui domine est l’impatience du dénoûment, et peu de gens cherchent à s’éclairer sur ce qu’il doit être pour avoir des effets sérieux. Aucune notion ne serait pourtant plus utile pour se prémunir contre les bruits hasardés qui se traduisent, dans le maniement des intérêts, par des mouvemens aléatoires. Les élémens d’une appréciation exacte ne manquent pas, pourvu qu’on les prenne dans la nature des choses et non dans des données de convention, livrées en pâture, au jour le jour, à la crédulité publique. Ce sont ces élémens intrinsèques que nous allons essayer d’analyser, en glissant sur les faits de guerre et en ne nous attachant qu’aux grands traits de la situation.


I

Au point où les événemens sont arrivés, il ne reste plus l’ombre d’un doute sur la conduite que jusqu’à épuisement de leurs forces tiendront les deux partis en présence. Ni l’un ni l’autre n’effaceront de leurs drapeaux les fières devises qui y ont été inscrites dès l’origine : du côté du nord, l’établissement de l’Union ; du côté du sud, démembrement de l’Union. Dans les premières années de la rupture, l’esclavage pouvait être un cas réservé ; il ne l’est plus aujourd’hui. Des engagemens formels ont été pris ; la cause du nord est liée à l’abolition de l’esclavage, comme celle du sud au maintien de l’institution servile. Il n’y a d’équivoque ni dans les intentions, ni dans les volontés, ni dans les actes.

Entre des situations si tranchées, un accommodement est-il possible ? peut-il aboutir ? Voilà ce qu’il faut se demander lorsqu’on apprend que des négociations sont ouvertes. Quel moyen terme introduire dans des prétentions absolues et qui s’excluent à ce point ? L’imagination la plus inventive y échouerait sans doute. C’est, il est vrai, des deux côtés la même race, parlant la même langue, longtemps liée par les mêmes intérêts, par une tradition commune ; elle se compose d’hommes également braves et éclairés. Que de motifs pour s’entendre, si un abîme ne s’était creusé entre eux ! Tel est l’empire de la passion que ces qualités mêmes n’ont servi qu’à entretenir un plus grand acharnement. Dans ces chocs à outrance, les cœurs se sont aigris, le langage s’est envenimé, le vertige de l’orgueil a obscurci la raison, et en réalité tous les griefs se résument désormais en un seul grief, le désir et l’espoir des revanches, tous les débats en un seul débat, c’est de savoir lequel cédera des deux partis en armes. Un esprit nouveau, dont ce pays industrieux s’était jusque-là préservé, est né de la circonstance, l’esprit militaire.