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Spiros habitait une sorte de château flanqué de deux tourelles, dont l’une était fort bien conservée, et l’autre à peu près en ruine. C’était là un des nombreux manoirs élevés dans ce pays par les Koutoupharis. Comment et de quel droit Spiros s’y était-il installé ? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’après avoir vaillamment combattu pendant les guerres de l’indépendance, il était rentré dans son obscure patrie avec une grande réputation de bravoure et la bonne conscience d’avoir immolé autant de Turcs qu’il avait été en son pouvoir de le faire. À ce moment, la tribu qui se groupait autrefois autour des Koutoupharis reconnut avec empressement pour son chef le guerrier qui revenait du combat avec beaucoup de blessures et une belle gloire, car il est à remarquer que le Magne, divisé comme le reste de la Grèce en éparchies, nomarchies et dèmes, a conservé au fond de ses habitudes et de ses mœurs, à côté de cette organisation nouvelle, son ancienne organisation guerrière et féodale. Le peuple est resté réparti en tribus ou capitaineries que séparent non-seulement les divisions du territoire, mais encore les anciennes haines et les traditions populaires. Chacune de ces capitaineries se rallie, comme un véritable clan, autour d’une famille ou d’un chef. Le Maïnote est singulièrement attaché à cet état de choses, qui favorise son culte pour le passé, pour ses vieilles coutumes, pour ses annales militaires, en même temps que son peu de goût pour la civilisation. La régence qui inaugura le règne du roi Othon, voulant mettre un terme à cette situation, envoya des troupes dans le Magne avec ordre de raser sur toute la surface du pays les tours et les châteaux forts. Les Maïnotes exaspérés coururent aux armes, se retranchèrent dans leurs vieux postes de guerre, et accueillirent les soldats bavarois à coups de fusil. Il fallut rappeler les troupes et retirer le décret, pour éviter une guerre qui aurait pu durer longtemps et coûter beaucoup de sang.

Tout en lisant la lettre de son ami de Karabos, Spiros m’offrit la pipe, le glyko et le café, suivant l’usage oriental. Il était gravement assis sur des coussins, et portait avec une mâle coquetterie la veste brodée, la fustanelle blanche, le large bonnet de feutre rouge rejeté en arrière. Ses jambes étaient enveloppées d’une ample fourrure. Ses armes, d’une extrême richesse, étaient accrochées au-dessus de sa tête à la muraille blanchie à la chaux. À droite de ce trophée, je remarquai une image grossière représentant Bonaparte, premier consul, à cheval ; à gauche, une autre image plus grossière encore figurait une nymphe fantastique à moitié hors de l’eau et portant je ne sais trop pourquoi un énorme vaisseau dans sa main. Pendant toute la soirée, l’échelle qui servait de moyen de communication entre le rez-de-chaussée et le premier étage fut assiégée