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Scardamoula, petit port d’un difficile accès. Les deux ou trois cents chaumières dont il se compose sont étagées sur le flanc d’un rocher et protégées par quatre ou cinq grosses tours fortifiées, qui indiquent assez que les pêcheurs d’aujourd’hui ont succédé dans cet imprenable asile à de hardis pirates, souvent forcés, pour échapper à l’ennemi, de quitter leurs frêles embarcations et de se réfugier sous le canon de leurs forteresses. À 1,000 mètres environ, au nord-est, on trouve, les vestiges épars de l’ancienne ville, Kardamyle. Une légende populaire raconte que les Turcs ayant autrefois tenté de s’emparer de ce port par surprise, la Panagia, dont les rustiques oratoires couvrent le sommet des escarpemens accumulés sur ce rivage, les repoussa dans les flots de sa propre main, tandis que les femmes, en l’absence de leurs maris occupés à une expédition lointaine, les écrasaient sous une grêle de pierres. À quelques lieues de Scardamoula, sur un sentier scabreux que nous suivions péniblement entre les récifs, tantôt à une hauteur vertigineuse, tantôt les pieds dans la mer, nous fûmes surpris par un orage épouvantable. Heureusement l’un de ces pyrgos semés à chaque pas dans le pays nous offrit un abri précieux, bien que ces murailles lézardées, branlantes, ne fussent pas de mine à nous rassurer contre les efforts croissans de la tempête. À l’étage supérieur, un vieux matelot était en train d’observer la mer, afin de signaler les sinistres au bourg voisin. Cet homme nous reçut avec empressement dans ce misérable gîte. Il nous apprit que le pyrgos prélevait jadis un droit d’ancrage sur les navires qui venaient mouiller dans l’anse étroite qu’il domine. Deux villages, à égale distance desquels il s’élève, s’en disputaient autrefois la possession. Un seul homme, relevé tous les deux jours de sa garde, était chargé de défendre la tour contre ses agresseurs. Il avait, il est vrai, à sa disposition vingt ou trente carabines toujours chargées. Quand il était attaqué, il faisait feu successivement de toutes les armes rangées à portée de sa main. Les guerriers de l’un ou l’autre village, attirés par le bruit de la fusillade, avaient le temps d’accourir pour lui prêter main-forte et faire lever le siège. Il faut aller dans le Magne pour rencontrer une forteresse défendue par un seul homme.

En descendant toujours le long du golfe de Messénie, on entre, à deux journées de marche de Scardamoula, sur le territoire qui formait la riche capitainerie des Koutoupharis, famille éteinte aujourd’hui, mais qui jouit pendant longtemps d’une grande influence. Le pope de Kambos m’avait muni d’une lettre de recommandation pour le seigneur Spiros, vieux capitaine fixé à Prastia, l’un des sites les plus pittoresques du district de Koutoupharis.