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un palais situé en face de celui du mikado, avec la mission apparente de veiller à la sûreté de ce souverain, mais pour épier en réalité ses moindres actions. Les princes, eux aussi, ont des espions attachés par le taïkoun à leur personne, et qui rendent un compte détaillé de leur conduite à Yédo ; les daïmios en revanche entretiennent des agens à la cour du taïkoun. On peut donc dire qu’une moitié du Japon espionne l’autre, et le caractère draconien des lois pénales garantit au gouvernement central l’obéissance empressée des fonctionnaires et l’absolue soumission des classes inférieures.

Bien que les hauts feudataires poussent aujourd’hui le mikado à revendiquer son pouvoir légitime, les nations occidentales n’ont qu’une puissance à reconnaître et à soutenir au Japon : c’est celle du taïkoun, la plus compatible, par sa forme et son caractère, avec nos mœurs et nos idées, la seule qui puisse, avec notre assistance, sauver le pays d’une anarchie qui serait la ruine de nos comptoirs. Les étrangers doivent déployer toute leur énergie et toute leur patience pour fixer les vues mobiles et ondoyantes du gouvernement de Yédo. Il importe avant tout de ne jamais faire de menaces qui ne soient pas suivies de l’action, et de ne pas craindre de frapper au besoin un coup décisif[1]. Une guerre générale du gouvernement japonais avec les étrangers n’est pas à redouter : il connaît trop, pour s’y engager, la supériorité militaire des nations occidentales. Ce qui est à craindre, c’est que ce riche pays, divisé par des ambitions toujours en éveil, ne devienne facilement la proie exclusive d’une nation résolue à faire quelques sacrifices pour le conquérir. Il faut que la France s’attache à prévenir cette prise de possession, qui serait funeste à l’Europe entière ; il faut qu’elle ne néglige aucune occasion de prendre part aux démêlés internationaux soulevés à Yokohama. Aussi notre représentant au Japon garde-t-il toujours une grande liberté d’allures ; un commandant de division ou de subdivision navale se tient sans cesse dans la baie, prêt à appuyer les menaces de notre ministre et à s’associer à toute entreprise sérieuse et légitime d’une autre nation sur un des points du pays. On sait aujourd’hui que le Japon est très vulnérable militairement ; les châteaux forts des daïmios et les grandes villes sont généralement

  1. Au mois d’août 1864, au moment même où les ambassadeurs japonais, de retour à Yédo, rapportaient au taïkoun un traité conclu en juin avec la France, et qui étendait, en les sanctionnant de nouveau, les premières stipulations, les escadres européennes se voyaient obligées de faire une nouvelle expédition contre Simonoseki. Au mépris de toutes les conventions, le prince de Nagato s’obstinait à former aux bâtimens étrangers l’accès du détroit, dont ses possessions dominent une des passes. Dans les premiers jours de septembre, les forces navales des puissances attaquaient ce puissant daïmio, à qui une première leçon n’avait pas suffi, et le 8 du même mois ses côtes étaient complètement désarmées ; lui-même était contraint cette fois d’avouer sa défaite.