Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

classe infime des marchands amasser maintenant des richesses et éluder ainsi les lois somptuaires qui règlent à chacun, suivant son rang, jusqu’aux moindres détails de la vie. L’égalité sociale qui règne entre les Européens, qui rapproche les gouvernans des administrés, assure la considération et l’influence à la fortune honnêtement acquise, doit choquer plus que toute autre chose cette société essentiellement aristocratique ; la caste des privilégiés a peur de voir lui échapper ces classes inférieures qu’elle a de tout temps maintenues dans une étroite soumission, elle craint qu’une révolution sociale ne vienne un jour la dépouiller de son autorité et de ses avantages. Elle a donc résolu de repousser de toutes ses forces ou du moins d’isoler l’élément dangereux que le taïkoun a laissé s’introduire dans le pays. Pendant que le gouvernement de Yédo, avec lequel les étrangers avaient traité, se renfermait dans une politique de temporisation et d’atermoiement, le parti féodal, hostile aux Européens, ne restait pas inactif. Les émissaires des daïmios prêchaient dans tout le pays la haine contre l’étranger, invoquaient les lois de Gongensama (nom sous lequel Hiéas est adoré), qui leur ferment l’accès de l’empire, et dépeignaient en traits éloquens les malheurs près de fondre sur le Japon : l’écroulement de la vieille société, la guerre civile, et finalement la conquête !

Que ces discours fussent plus ou moins sincères, peu importe. Ce qui est certain, c’est qu’ils servaient la cause des princes, qui croyaient le moment venu d’ébranler et de compromettre vis-à-vis du pays et des étrangers ce pouvoir du taïkoun, devant lequel, depuis deux cents ans, ils étaient réduits à s’incliner. De là sont venues les difficultés qui ont entravé jusqu’ici les rapports des Européens et des Japonais. Les premiers étrangers avaient d’abord été accueillis avec assez de cordialité, puis peu à peu une certaine froideur, une réserve de plus en plus accusée se manifesta chez les Japonais appartenant aux classes supérieures. Elle se traduisit d’abord par un refus d’engager aucunes relations intimes, et l’on vit alors s’inaugurer, dans les rapports des chancelleries, le système de réticences, de petites vexations, dont le gouvernement de Yédo ne s’est pas départi jusqu’à ce jour. Les classes inférieures seules, là où elles se trouvaient dans un contact immédiat avec les étrangers, parurent satisfaites d’un état de choses qui leur apportait le bien-être et la richesse.

On a souvent accusé la rapacité, la conduite hautaine et peu conciliante des premiers négocians étrangers établis au Japon. Cette accusation est mal fondée, et quiconque a vu les choses de près ne saurait se ranger à cette opinion. Les premiers arrivans, qui se sont présentés avec confiance et sans protection armée dans les ports