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navires à l’ancre, et n’était nullement placée de manière à défendre les abords de la rade contre un autre ennemi.

Si l’on consulte le droit des gens, il est clair que toute nation peut ériger sur ses propres côtes les fortifications qu’elle juge convenable d’y établir ; mais ici le projet du gouvernement japonais s’entourait de circonstances alarmantes. La veille, il avait menacé des plus grands dangers ceux qui se refuseraient à évacuer Yokohama dans un court délai. La batterie de Benten ne deviendrait-elle pas quelque jour un argument plus sérieux, et ne verrait-on pas, à la moindre alerte, la flotte des bâtimens de commerce réduite à quitter la baie, pour se mettre hors de la portée de ces canons protecteurs ? Après s’être concertés, les amiraux français et anglais écrivirent donc officiellement, le 6 novembre, aux autorités locales, qu’en vertu du mandat qu’ils avaient reçu du gorodjo relativement à la protection de la ville, ils s’opposaient à la construction de la batterie : si ces travaux étaient continués, ils feraient occuper le terrain par leurs troupes. Le gouverneur de Yokohama répondit qu’il n’avait pas le pouvoir de modifier les ordres reçus sans une décision supérieure ; toutefois la construction de la batterie ne fut pas entreprise, et six semaines plus tard le gorodjo adressa au ministre de France une lettre qui, sans donner les raisons du projet primitif, assurait qu’il était définitivement abandonné.

Telle fut l’heureuse issue de cette affaire, qui servit à prouver une fois de plus aux Japonais avec quelle ferme décision les puissances prétendaient couvrir la colonie de Yokohama. C’est à la suite de cet incident, après avoir vu échouer successivement la persuasion et la menace, que les Japonais parurent décidés à envoyer de nouveaux ambassadeurs en Europe. Déjà en 1862 cette mesure leur avait réussi. Accueillis avec bienveillance par les cours étrangères, ces ambassadeurs avaient obtenu sans difficulté l’ajournement de l’ouverture d’Osaka, Hiogo et Neegata. Ils espérèrent le même succès en chargeant une seconde ambassade d’aller demander à tous les gouvernemens représentés au Japon les concessions qu’ils convoitaient encore et régler les difficultés pendantes.

Les recherches faites, sur l’injonction des autorités françaises, pour découvrir les assassins de M. Camus n’avaient produit aucun résultat, et la question de la réouverture du détroit de Simonoseki n’avait non plus fait un pas. Ces deux points devaient être les premiers sur lesquels les envoyés du taïkoun donneraient des explications à la France. Il fut donc résolu que les ambassadeurs japonais iraient tout d’abord à Paris, et, pour conférer préalablement de cette démarche solennelle avec M. de Bellecourt, deux vice-ministres daïmios et membres du second conseil se rendirent le 6 décembre à bord de la Sémiramis. Les gouverneurs de Yokohama, qui les