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prépondérance sans pouvoir toutefois secouer les embarras de sa situation, car l’on disait que la guerre civile avait éclaté sur divers points, et que des rebelles étaient en armes dans la province de Mito. Une batterie située sur l’île d’Awasi avait même tiré, ajoutait-on, sur un vapeur portant le pavillon du taïkoun. À Yokohama cependant, les justes craintes suscitées en septembre 1862 par le tragique événement du Tokaïdo s’étaient peu à peu calmées à la suite des vigoureuses opérations que les marines occidentales avaient su accomplir en moins d’un an. Dès l’automne de 1863, on voyait, chaque jour, à l’heure où cessent les affaires, un flot de promeneurs se répandre comme auparavant dans la délicieuse campagne qui entoure Yokohama d’un berceau de verdure. On rencontrait bien parfois, au détour d’un vallon, quelque samouraï (noble japonais) à physionomie peu rassurante et armé de ses deux sabres ; mais en dehors de la route du Tokaïdo, le grand chemin du Japon, la police du taïkoun ne s’étendait-elle pas comme un réseau sur le pays voisin de cette route, interdisant l’approche de la ville à ceux qui n’y étaient pas appelés pour leur service ? On voyait les gardes et soldats de police, dont l’uniforme était bien connu, occuper de nombreux postes d’observation sur les collines, au bord des routes, à la tête des ponts, tout autour de la ville.

Le 14 octobre 1863, vers quatre heures du soir, le bruit se répandit tout à coup dans Yokohama que le cadavre d’un Européen venait d’être aperçu couché en travers d’un chemin dans la campagne. Le lieu avoisinait des pagodes situées à 2 kilomètres environ de la ville. Des résidens, des officiers, auxquels s’adjoignirent des gardes japonais, s’y portèrent en toute hâte, et trouvèrent à l’endroit indiqué le cadavre mutilé et encore presque chaud d’un officier de notre bataillon d’infanterie légère d’Afrique. Malgré de terribles coups de sabre, dont l’un avait presque entièrement divisé le crâne, l’on reconnaissait le sous-lieutenant Camus, sorti une heure auparavant, à cheval, pour faire sa promenade accoutumée. M. Camus s’était mis en route ce jour-là sans le revolver de poche qu’il portait ordinairement. Il est probable toutefois que le malheureux officier avait été surpris par l’attaque imprévue d’assassins plus ou moins nombreux et que son arme n’eût pu le défendre. Les blessures dont son corps était couvert provenaient de ces terribles sabres que les Japonais manient si bien. Sa main droite, abattue d’un seul coup, fut retrouvée quelques pas plus loin, tenant encore des fragmens de rênes. Le cheval, légèrement blessé et couvert de sang, errait à l’aventure à quelque distance. La nature du pays, boisé et entrecoupé de haies vives, avait permis aux assassins de se dérober rapidement. Personne ne paraissait avoir été témoin de l’événement ; mais une seule pensée surgissait dans tous les esprits : le crime