Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de nos projectiles. Nos boulets, traversant un parapet insuffisant, avaient labouré la batterie, où des débris humains et des vêtemens ensanglantés gisaient à terre. Aussitôt l’occupation faite, le commandant ordonna de détruire les affûts, d’enclouer les pièces et de jeter à la mer les munitions découvertes dans une poudrière. Un détachement, traversant la rizière, s’était porté sur le village et à la lisière des bois ; les Japonais avaient fui partout sans résister, se bornant à riposter en tirailleurs, au fond du vallon, à l’abri des arbres. Le feu avait été mis successivement aux différens points du village qui servaient de logemens aux soldats japonais. Dans quelques-unes des cases étaient rangées des armures ; dans une habitation d’officiers, l’on avait trouvé des ouvrages de tactique militaire, traduits des langues européennes en japonais ; l’un de ces ouvrages, imprimé en caractères hollandais, était encore ouvert à la page où sans doute le lecteur l’avait quitté précipitamment : à cette page, on traitait des navires attaqués par une batterie au moment où ils ont à lutter contre un courant violent. Le détachement de marins, conduit par le chef d’état-major Layrle, s’était porté jusque sur le château à terrasse blanche ; une partie de l’édifice était un logement de chefs, le reste un grand magasin de poudre et de projectiles ; le feu avait été mis à l’un des angles, et bientôt après le tout avait disparu dans une immense explosion. À ce moment, le signal de retraite était donné, et nos hommes, après s’être repliés lentement sans être suivis de l’ennemi, se rembarquaient en bon ordre.

Ce brillant succès ne nous avait coûté que trois hommes légèrement atteints et un chasseur mortellement blessé. L’ennemi n’avait laissé qu’un petit nombre de morts sur le terrain ; mais l’artillerie des navires, lançant ses feux avec la plus grande précision sur la batterie et ses colonnes, avait dû lui faire subir des pertes considérables[1]. En récapitulant les incidens du combat, l’on est amené à conclure que les Japonais avaient été surpris par notre descente inopinée, car les détachemens affectés à la garde du terrain avaient lâché pied au premier feu. Quant aux milices de renfort accourues de Simonoseki, nos boulets les avaient refoulées sans peine dans les bois. Nos hommes rapportaient de curieux trophées : des sabres, des lances, des fusils, des mousquets à mèche d’ancienne date et d’origine hollandaise, des armures. Celles-ci principalement excitèrent notre intérêt ; elles rappelaient d’une manière frappante celles de nos anciens chevaliers : casque, cuirasse, brassards, cuissards, tout s’y retrouvait. Ces armures étaient d’une composition assez

  1. A quelques jours de là, on apprenait à Nagasaki par un navire japonais qui arrivait de Simonoseki que Nagato avouait une perte de cent cinquante officiers et soldats.