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tombèrent mortellement atteints ; le feu prit un instant en deux endroits du navire. Le combat devenait de plus en plus inégal ; la Méduse accéléra sa marche, tout en continuant un feu nourri de ses pièces de bâbord. À mesure qu’elle s’éloignait d’une batterie, de nouvelles décharges partaient d’autres ouvrages échelonnés le long de la côte. Enfin, une heure et demie après s’être engagée dans le détroit et sous le feu de deux navires et de sept batteries, la Méduse atteignit la Mer-Intérieure. Elle comptait quatre morts et cinq hommes grièvement blessés ; trente et un projectiles avaient frappé la coque du bâtiment, dont la machine était cependant restée saine et sauve.

Tels sont les faits que nous recueillîmes à bord de la corvette hollandaise, et il résultait de ces rapports que le nombre des batteries, de la côte nord, l’étroitesse de la passe et la rapidité des courans rendaient le détroit très périlleux à franchir devant Simonoseki ; un seul boulet atteignant la machine ou le gouvernail aurait pu amener l’échouage sous le feu ennemi, et si le prince de Bouzen, sur la côte sud, celle de Kiousiou, n’était pas resté spectateur indifférent de la lutte, nul doute que le Kienchan et la Méduse n’eussent succombé.

Le jour suivant, la houle ayant augmenté et les grains ne permettant pas de voir la terre, notre navigation devint plus lente et plus difficile ; il fallut s’éloigner de la côte. Le 18 au soir, nous reconnûmes enfin l’entrée du canal de Boungo ; dans la journée, le Tancrède nous avait ralliés au large. Le 19, au jour, nous donnions dans le canal, précédés du Tancrède. Les grains continuaient et permettaient à peine d’apercevoir par instans les deux rives. La passe est large, mais semée d’écueils, et l’hydrographie en est encore incomplète. Après avoir rangé de près quelques dangereux récifs, nous entrâmes enfin vent arrière dans la Mer-Intérieure. Ici la passe s’élargit. Tandis que nous mettions le cap au nord-ouest, les terres disparaissaient presque entièrement à l’horizon ; mais, au calme des eaux, malgré la continuation de la brise, nous devinions qu’une barrière arrêtait la houle derrière nous. Les jonques se montraient de tous les côtés de l’horizon en assez grand nombre. Le soir, après avoir doublé l’un des promontoires de Kiousiou, nous vînmes jeter l’ancre en avant de l’entrée du détroit de Simonoseki. Des terres élevées, courant au nord et à l’ouest, formaient comme un vaste entonnoir qui s’ouvrait vis-à-vis de notre mouillage. La journée avait été employée à faire les derniers apprêts pour les opérations du lendemain. L’amiral avait rédigé une proclamation qui annonçait aux habitans du pays les circonstances dans lesquelles il se présentait. Il ne venait pas avec l’intention de nuire aux populations paisibles, mais pour venger sur leur prince l’insulte que