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déclamations de Christophore, et se répandaient en invectives contre le gouvernement et la cour. Plus d’une fois ce jour-là, on eût pu se croire à la veille de quelque sanglante révolution.

J’arrivai sans encombre à Vourlia, et je comptais faire pendant quelques jours le centre de mes excursions de ce délicieux village perdu dans un bouquet de bois, d’où l’on domine tout ensemble la vallée de Sparte et le splendide panorama du Taygète, quand mon guide m’ayant demandé si j’étais curieux de connaître le héros du moment, je résolus de partir avec lui pour Vitulo de Maïna, où Christophore se trouvait alors, disait-on. Il n’y avait pas de temps à perdre, car cet étrange apôtre ne s’arrêtait guère au même endroit, et l’autorité militaire pouvait d’un instant à l’autre le faire disparaître de la scène. Je m’acheminai donc dès le lendemain vers le Taygète, et de là vers le pays des Maïnotes, en passant par Mistra, la Sparte des croisés, la capitale aujourd’hui déserte de l’éphémère principauté d’Achaïe, joyau gothique oublié sur les flancs abrupts du Taygète par les chevaliers qui remplirent un instant la Morée du bruit de leurs combats et de leurs fêtes. Bâtie par Guillaume de Villehardouin, séjour des Paléologues après le départ des Francs, Mistra a été maintes fois prise et reprise par les Vénitiens, les Turcs et les Grecs. Elle tomba définitivement aux mains de ceux-ci vers la fin du siècle dernier. La ville s’échelonne en étages multipliés sur un rocher à pic ; cinq cents pieds plus haut, les créneaux de la citadelle ornent de leur élégante couronne le sommet accidenté d’un piton conique autour duquel serpente un sentier taillé dans le roc. L’art gothique s’est livré, dans la construction de cette petite cité, à tout l’essor de ses inventions les plus capricieuses ; les tourelles des châteaux forts encore debout se dressent hardiment et partout au-dessus des habitations à la façade sculptée à jour, aux fenêtres ogivales, aux murailles revêtues de cette belle couche d’or que les rayons du soleil de Grèce déposent sur tous les monumens comme une indestructible parure. Tout cela se détache admirablement sur le fond sombre que présentent au second plan les forêts et les anfractuosités du Taygète. Mistra, vue de la vallée, semble intacte et offre un coup d’œil féerique. Cette ruine, par le souffle de vie qui circule encore autour d’elle, par les souvenirs chevaleresques qu’elle évoque en foule, par le charme à la fois fantastique et gracieux dont elle est empreinte, forme un saisissant contraste avec la sévère et solennelle beauté des ruines de l’antiquité grecque.

Le chemin qu’il faut suivre pour aller de Mistra à Armyros, le premier port du Magne sur les confins de la Messénie, est sans contredit l’un des plus impraticables de la Grèce. Pendant deux pénibles