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la chaîne des hautes montagnes de l’île Nipon où se trouvent les deux capitales du pays, et qui ondoie à l’horizon comme un nuage. Plus loin encore, le pic neigeux du Fousi-yama (montagne sans pareille) élève à 3,000 mètres son cratère éteint depuis des années. Toute cette nature, moins vigoureuse que celle des tropiques, présente pour le voyageur un charme indicible : c’est la fraîche verdure des plus belles campagnes de la France avec le ciel bleu de la Sicile et la transparence de ses horizons.

En sortant de Yokohama par le quartier indigène, on trouve au nord la route de Kanagava, qui conduit à la colline habitée par les gouverneurs japonais. Ces derniers, ayant à la fois les deux villes, Yokohama et Kanagava, sous leur juridiction, sont en quelque sorte postés sur le chemin qui les relie. Autour de l’habitation en bois qu’ils occupent campent en permanence, à l’abri de retranchemens défendus par de hautes palissades, de nombreux corps d’infanterie et d’artillerie indigènes. Malgré cet appareil imposant, la colline des gouverneurs peut être facilement balayée par le canon des navires en rade, tandis que le mouillage de ces derniers n’a rien à craindre des batteries de la côte.

Les ministres de France, d’Angleterre et de Hollande, d’abord installés à Yédo, ne tardèrent pas à abandonner cette capitale, où ils étaient, jusque dans les couloirs et au seuil de leurs appartemens, l’objet d’une surveillance vraiment inquisitoriale, pour venir s’installer à Yokohama au milieu de leurs compatriotes. Le ministre américain, dont la politique, ainsi que celle du représentant de la Russie, établi à Hakodadé[1], a toujours été de se faire accepter comme protecteur et conseiller du gouvernement japonais, persista seul à demeurer à Yédo. Bientôt la prospérité croissante de la colonie européenne de Yokohama inspira des inquiétudes aux Japonais, qui essayèrent à plusieurs reprises de faire envahir le quartier étranger par leurs officiers. Le mariage du taïkoun régnant, le souverain temporel du Japon, avec la sœur du mikado, souverain spirituel, était en même temps annoncé officiellement comme le signe d’une alliance conclue par les divers partis qui divisaient l’empire dans une pensée commune d’hostilité contre les Européens. Les vexations de toute sorte se multipliaient, et en juin 1862 la légation anglaise fut même l’objet d’une attaque qui causa le meurtre de deux sentinelles. Cet attentat fut suivi d’un acte de violence beaucoup plus audacieux. Sur la route du Tokaïdo, qui relie Yokohama à la capitale, passent presque journellement les cortèges imposans des princes japonais, des daïmios, appelés à Yédo ou rentrant dans leurs

  1. Les Russes sont aussi établis à Nagasaki ; mais le commerce ne semble pas être leur principale préoccupation au Japon.