tâche, le passé du Magne s’envelopperait bientôt d’un mystère qu’il ne serait plus possible de sonder.
Lorsque, vers la fin de l’année 1856, je partis d’Athènes pour Sparte, le Péloponèse venait d’être mis en émoi par la soudaine apparition d’un moine illuminé, qui était, comme on le sut plus tard, à la solde des téméraires propagateurs de la grande idée. Par l’étrangeté de ses discours et l’allure apocalyptique de son éloquence, ce moine, qui s’appelait Christophore, avait rapidement acquis un énorme ascendant sur la vive imagination des Moréotes ignorans, mais avides de bruit et de nouveauté. Le brigandage, qui accompagne toujours en Grèce les grandes émotions populaires, sévissait dans toutes les provinces. Des troupes furent expédiées pour rétablir l’ordre et s’emparer du fauteur de cette agitation. Par le fait du hasard ou de secrètes connivences, Christophore échappa longtemps à toutes les poursuites, et put continuer impunément pendant plusieurs mois son apostolat incendiaire. Il se vantait d’avoir le don de se rendre invisible et insaisissable, et annonçait que, s’il tombait jamais entre les mains de ses ennemis, l’ange du Seigneur viendrait le délivrer. Il fallut enfin envoyer contre ce dangereux personnage le général Tsavellas, petit-fils du célèbre Photos, et l’un des officiers les plus intègres et les plus énergiques qu’ait possédés la Grèce. Comme Tsavellas ne tolérait pas de compères parmi ses soldats, il. n’eut qu’à se montrer pour se saisir du faux prophète ; il le conduisit à Athènes pieds et poings liés, au grand ébahissement du peuple, qui attendait un miracle, et qui, voyant que nul prodige ne venait opérer la délivrance du captif, rentra momentanément dans le calme habituel.
Au moment où j’arrivai dans le Péloponèse, Christophore était à l’apogée de sa célébrité éphémère ; tout le pays que je parcourus était en proie à une sorte de fièvre. Après avoir visité Nauplie et Palamide, sa forteresse, Tyrinthe, la ville des cyclopes, Mycènes, la ville des Atrides, Argos, et les marais de Lerne, je me dirigeai vers Tripolitza en passant par Mantinée et le champ de bataille témoin de la dernière victoire et du trépas d’Épaminondas. Une rude journée de marche me conduisit de là sur les collines pittoresques et verdoyantes qui bordent à l’est la vallée de Lacédémone, et lui servirent maintes fois de remparts contre l’ennemi. Les chemins, habituellement déserts, étaient cette fois couverts d’allans et de venans, d’hommes armés et de mauvaise mine ; les caravansérails étaient remplis de gens qui répétaient des lambeaux des grossières