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un tel événement serait une des calamités les plus lamentables de notre histoire, et nous ne voulons pas croire qu’il soit possible. Nous chassons donc de notre esprit ces préoccupations fâcheuses ; le dernier discours de M. Rouher nous y aide. Ce discours est empreint d’une grande confiance dans le succès de l’entreprise mexicaine. « La France, a dit le ministre, continuera de protéger le Mexique jusqu’à l’entière consolidation de son œuvre. » Quelques personnes ont trouvé cette déclaration trop énergique ; elles y ont vu un engagement dangereux. Nous ne partageons point cet avis : l’engagement réside dans les antécédens de la question et dans toute la politique du gouvernement ; le gouvernement fait bien de mettre dans son langage ce qui est dans ses actes : c’est la meilleure façon d’inspirer au nouvel établissement mexicain la confiance qu’il a besoin, pour réussir, d’avoir en lui-même, et d’abréger pour nous la période des difficultés et des sacrifices. M. Rouher a aussi annoncé la conclusion d’un nouvel emprunt mexicain. On dit que cet emprunt, souscrit par les premiers établissemens ou maisons de banque de France, se présente aux souscripteurs avec un grand luxe de conditions séduisantes. Il doit rapporter un gros intérêt ; il est accompagné de loteries énormes offrant deux fois par an des lots d’un demi-million ; il jouira d’un double amortissement, le premier en espèces, le second en rentes françaises. Nous savons que le public est de nos jours très sensible à ces amorces, et que ce système des loteries et des amortissemens est un trait traditionnel de la politique financière de la maison de Habsbourg. Nous eussions mieux aimé pour notre part une combinaison financière plus sobre. Quand M. Rouher a dit que la France protégerait l’empire mexicain jusqu’à l’entière consolidation de son œuvre, il a donné au gouvernement de l’empereur Maximilien une garantie morale dont devraient profiter les finances mexicaines. Étant dans une telle disposition, le gouvernement eût donc pu garantir l’emprunt mexicain et fournir par là au Mexique le moyen de réaliser une sérieuse économie.

L’Italie et la question romaine, abordées par M. Thiers dans un de ses discours les plus amples et les plus élevés, auront fourni à la discussion de l’adresse le plus large thème de politique étrangère qui ait été traité cette année devant le corps législatif. Il serait bien téméraire à nous, qui avons à peine eu le temps de lire le discours de M. Thiers, de juger dès aujourd’hui ce grand essai d’histoire contemporaine et de politique. Nous avons le malheur de ne point partager l’opinion de M. Thiers sur les questions de Rome et d’Italie. M. Thiers, comme tout artiste éminent, est créateur ; réunis et disposés par lui, les faits qui remplissent ses compositions s’imprègnent de la lumière dont son imagination les colore, se teignent pour ainsi dire des qualités de son esprit et de son âme, et présentent un ensemble de vie même aux yeux de ceux qui n’y reconnaissent plus la réalité exacte qu’ils ont pu étudier de près. Ce discours de M. Thiers est un miracle de son art. Des événemens qui ont rempli plusieurs années à distribuer, des