Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/1059

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et vous prétendez que la pièce s’appelle…

La loi de Java, lisez vous-même : The law of Java !

— En avez-vous déjà parlé à quelqu’un ?

— Non certes.

— Eh bien ! n’en soufflez mot, et laissez-la-moi. Cette situation en effet me parait dramatique, et il faudra voir plus tard s’il n’y aurait point à la mettre à profit.

— Oui, répondis-je en souriant, plus tard ! quand vous aurez eu le temps d’achever votre partition d’Héro et Léandre, de composer l’Apprenti sorcier, et d’écrire ce fameux second acte de l’opéra de Weber, sans compter la Vie et la mort de Charles-Quint dont je ne parle plus.

— Un magnifique cinquième acte à faire ! reprit-il, tout heureux de saisir au vol un moyen de détourner la conversation. Cet empereur dont on célèbre les funérailles, qui se dresse comme un spectre au milieu de l’épouvante générale et dont la mort vient enfin clore le drame tenu en suspens un moment par sa résurrection : il y a là en effet le programme d’un finale admirable.

— Et vous comptez bien utiliser ce programme, continuai-je en l’interrompant, un jour ou l’autre, après l’Africaine et la Loi de Java ?

— Pourquoi plaisantez-vous ? On croirait que vous vous imaginez que la situation est la même ?

— Pas le moins du monde, puisque dans la pièce anglaise il s’agit d’un upas, tandis que dans l’Africaine il s’agit…

— Eh bien ! de quoi s’agit-il, s’il vous plaît ?

— D’un mancenillier, ce qui certes est fort différent, en matière de silviculture surtout, car pour l’effet dramatique vous conviendrez entre nous que…

— Mais comment l’avez-vous su ? Excepté Scribe, Duponchel et moi, nul ne se doute de la pièce.

— Aussi est-ce vous qui venez de me l’apprendre, car je vous affirme qu’en entrant j’ignorais tout et que sans votre émotion et vos réticences…

— Je vous répète que vous vous trompez, ajouta-t-il avec un sourire d’intelligence. Quoi qu’il en soit, ne parlez à personne de ces suppositions, et tâchez de garder pour vous votre pièce anglaise.

— La garder pour moi, cela vous plaît à dire. Vous oubliez que vous venez de l’enfermer dans votre tiroir.

— L’ai-je enfermée ?

— Oui, par distraction, tout en causant.

— Eh bien alors ! qu’elle y reste, dans mon tiroir l Au fait, qu’en avez-vous besoin maintenant ? qu’en feriez-vous ?

J’arrivais à cette époque des universités d’Iéna et de Gœttingue et ne me lassais pas de provoquer la discussion. Vous eussiez dit la scène de l’étudiant dans Faust. Goethe, qu’il admirait par ses grands côtés et aussi pour