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ce qui leur appartient, et renouer discrètement le fil des âges à la tradition des Haydn, des Mozart et des Beethoven.

Le fils de l’auteur du Freysckütz et d’Euryanthe M. le baron de Weber, ingénieur au service du roi de Saxe, était, à ce qu’on raconte, dernièrement à Paris. À propos de ce voyage, qui se rattachait, paraît-il, à des intérêts purement administratifs, divers journaux à l’étranger ont mis de nouveau en avant la question d’un opéra inédit de Weber et prétendu que le fils, ayant apporté dans sa malle la partition du père, ne nous quitterait qu’après en avoir assuré la prochaine représentation. Plusieurs se sont demandé ce qu’il fallait penser de cette annonce. Nous, ignorons le voyage de M. de Weber, et quelles négociations il a pu entamer soit avec les directeurs de lignes télégraphiques, soit avec les directeurs de théâtre ; mais ce que nous sommes en droit d’affirmer pertinemment, c’est que ce Pater Schlewihl existe, bien qu’à l’état le plus embryonnaires comme l’homunculus de Faust ; dans sa bouteille. Longtemps Meyerbeer eut entre ses mains cet ouvrage, qu’il avait pris à tâche de terminer. Parmi les papiers laissés par Weber se trouvait un manuscrit que sa veuve confia à Meyerbeer, le priant d’aviser à ce qu’on en pourrait faire. C’était de la musique bouffe un peu à la manière d’Abou-Hussan. Meyerbeer conçut à la lecture la meilleure idée de ces fragmens et forma tout aussitôt le projet d’achever la partition. Cela devait dans sa pensée, avoir deux actes, le premier de Weber, le second de Meyerbeer. Restait à fabriquer un poème, ce fut toute une histoire :

Trois mois entiers ensemble nous passâmes,
Lûmes beaucoup et rien n’imaginâmes.


On ne se figure pas telle besogne : inventer une pièce originale ayant son intérêt, sa couleur propre, et dans laquelle l’ordre même des morceaux de Weber fut maintenu, à plus forte raison le sentiment et le caractère ; — de la pièce allemande, impossible d’en utiliser quoi que ce soit : ni ébauche, ni scenario, rien de tracé que les vers sur lesquels le musicien avait écrit ses fragmens ! J’avoue que jamais je n’admirai tant l’art d’un Cuvier reconstruisant un animal sur la simple découverte d’un os maxillaire. J’y perdis mon latin et mon allemand, mais j’y gagnai bien des conversations charmantes, de longues heures de tête-à-tête où nous causions de tout, excepté de la pièce. Les journaux, en attendant l’annonçaient. « L’acte de Weber existe, un acte d’opéra bouffe plein d’entrain, de verve, de génie ! » Oui certes l’acte existait, mais celui de Meyerbeer, quand viendrait-il ? C’est ce qu’à l’Opéra-Comique on ne cessait de se demander, et Meyerbeer de promettre, de promettre toujours. Vous connaissez, l’histoire de cet amateur, le comte de V…, venant un jour demander à un célèbre professeur du Conservatoire, combien de temps à peu près il lui faudrait pour savoir jouer de la flûte. Mais, répondît le virtuose, c’est selon, un an, dix-huit mois, plus ou moins. On s’entendit. Les études commencèrent. D’abord