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l’un à l’autre et se la partageaient en la déchirant, l’Italie éperdue se jeta, pour échapper au césar, dans les bras du pontife. Malgré d’anciens et cruels mécomptes, cet accès de folie ou cet acte de désespoir s’est répété de notre temps en haine des Autrichiens. Les premières cloches furent sonnées en Lombardie par un poète encore vivant qui porte modestement un demi-siècle de gloire, Alessandro Manzoni. Il voulut réveiller par le sentiment religieux le sentiment national et soulever le catholicisme italien contre l’oppression étrangère. Ses disciples et ses émules, Silvio Pellico, Grossi, Rosmini, vingt autres, se lancèrent dans le mouvement, qui entraîna bientôt la Lombardie et le Piémont jusqu’au jour où Cesare Balbo, Massimo d’Azeglio et Gioberti s’en emparèrent.

Ces idées se répandirent à Naples après 1840 ; quelques écrivains les accueillirent volontiers. Le papisme était la forme la plus accommodante et la moins dangereuse du libéralisme ; on ne pouvait raisonnablement mettre en prison les poètes qui chantaient la gloire de Rome et l’empire universel du Vatican. Il y eut donc à Naples un certain mouvement catholique ; bien plus, ce mouvement y produisit des travaux assez considérables. Un homme de l’autre siècle, Carlo Troya, né en 1784, filleul de la reine Caroline, élevé au palais royal, instruit au collège des pères chinois, puis protégé par Murat, ménagé par la restauration, mais compromis dans les troubles de 1820 et doucement renvoyé de Naples, avait, pendant cet exil, étudié la Divine Comédie, puis l’histoire, et s’était fait guelfe en vivant à Rome entre les patriciennes et les cardinaux. Il entreprit alors d’écrire les annales de l’Italie depuis Charlemagne jusqu’à Dante, et, s’étant mis à l’œuvre avec un prodigieux acharnement, accumula d’abord treize cent trente-deux pages in-quarto sur l’histoire des barbares avant leurs invasions, suivies d’une table chronologique, amas énorme de textes, de documens cités de mémoire. Carlo Troya savait tout cela par cœur. Cet avant-propos publié, il se mit à écrire son livre, dont deux mille pages et plus parurent avant sa mort. Je passe ses autres travaux (dissertations sur la Divine Comédie, sur les Florentines contemporaines de Dante, etc.) et son Code diplomatique lombard. L’ensemble de ces recherches servit à prouver que le pape, « gardien des lois romaines, de la langue latine et de l’antique civilisation, avait représenté l’Italie contre les barbares, » et conséquemment devait la représenter encore et l’arracher de leurs mains. Une pareille conclusion n’était pas exprimée dans les volumineuses compilations de M. Carlo Troya, mais elle en sortait toute poudreuse et pesamment armée. Balbo, d’Azeglio, Gioberti, en furent ravis ; la science venait à leur secours avec des catapultes.

Cette idée, qui avait envahi l’Italie presque tout entière, ne fut