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comme les autres. Est-ce bien cette Mme de Coulanges, si rieuse, si légère, si enivrée des plaisirs du monde, si remplie de ses futilités, et sur laquelle il semble que la morale chrétienne devait glisser, qui écrit à son mari ces sérieuses paroles : « Je ne me soucie plus du monde ; j’ai vu tout ce qu’il y a à voir ; je n’ai plus qu’une vieille figure à lui présenter, plus rien de nouveau à lui montrer ni à découvrir ? Et que veut-on faire de recommencer toujours des visites, de se troubler des événemens qui ne nous regardent point ? Mon cher monsieur, il faudrait songer à quelque chose de plus solide. » Il faut avouer que ces sentimens nous transportent dans un monde dont les lettres de Cicéron ne nous donnaient pas l’idée.

Je n’achèverai pas ces réflexions sans faire remarquer combien la dévotion de Mme de Sévigné, assez tiède en pratique, avait, dans la théorie, des excès et des témérités qui surprennent. On sait avec quelle chaleur elle défendait les opinions de Port-Royal et la doctrine de la grâce. Tout ce qui était grand et même exagéré la séduisait. Le magnifique exemple des mères de l’église, Mmes de Conti et de Longueville, ces anciennes héroïnes de la fronde, qui s’étaient jetées dans les austérités de la pénitence avec un entraînement romanesque, la frappait d’une admiration aussi vive que « les divines saillies de Corneille qui font frissonner ; » mais ce qui l’entraînait encore plus que tout le reste dans le parti des jansénistes, c’est qu’ils étaient poursuivis et persécutés, et que la doctrine de Port-Royal était une doctrine d’opposition. Ceci mérite d’être remarqué. Cette femme si douce, si conciliante dans ses relations, qui s’accommodait si facilement au caractère et à la façon de penser des autres, avait pourtant son franc parler. Malgré sa dévotion sincère, elle disait son sentiment sur les choses religieuses, et ce sentiment ne laissait pas que d’être quelquefois très hardi. Elle n’était pas de ces chrétiens soumis qui regardent l’ignorance comme la sauvegarde la plus sûre de leur foi, qui s’imaginent que la meilleure manière de résoudre les objections, c’est de n’y penser jamais, et qui croient devoir tenir leur esprit à jeun, pour le mortifier comme le corps. Elle se permettait de réfléchir sur ses croyances ; elle lisait beaucoup, et comme elle souhaitait sincèrement s’éclairer, elle se gardait bien de ne lire que les gens qui étaient de son avis, « Nous battons tous les chemins, » disait-elle, et en effet on la voit mêler à Pascal et à Nicole les ouvrages de Claude, de Burnet, et même un peu d’Alcoran. De toutes ces lectures il était résulté une croyance fermement assise, mais précisément parce qu’elle était sûre d’elle-même, une croyance libre et hardie. Elle ne se cache pas pour sourire de la châsse de sainte Geneviève et de saint Marcel ; elle parle légèrement de Rome et des conclaves, et ce n’est pas sans ironie qu’elle nous raconte « qu’on a chargé le cardinal de Retz