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Les révélations de ce genre qu’on rencontre à chaque pas dans les lettres de Mme de Sévigné dérangeront peut-être beaucoup d’opinions toutes faites et d’admirations volontairement exagérées ; mais je ne crois pas que ces admirations méritent qu’on les respecte. Sans doute il ne faut pas se plaire à abaisser le passé ; c’est un mauvais sentiment, et qui n’a jamais profité à personne, mais il ne faut pas souffrir non plus qu’on l’exalte outre mesure, pour humilier le présent. Il n’est pas salutaire de dégoûter les gens de l’époque dans laquelle ils vivent. Quand on les a découragés d’avance, quand on leur a ôté tout ressort pour faire le bien en leur enlevant l’espérance d’y réussir, ils s’abandonnent eux-mêmes et finissent par mériter l’opinion qu’on avait d’eux. Le grand service que nous rendent ces correspondances, où la vérité n’est pas déguisée, c’est de nous donner plus d’estime pour nous-mêmes. Nous en avons grand besoin. Quoique les moralistes nous accusent d’être trop complaisans pour nos mérites, je trouve que nous sommes au contraire trop portés à nous maltraiter. Le siècle où nous vivons est toujours pour nous le siècle de fer. Quant à l’âge d’or, aux différentes époques de notre vie, nous le plaçons à des endroits différens, mais nous avons soin de ne jamais le mettre de notre temps. Quand nous sommes jeunes et pleins d’espérance, nous regardons devant nous ; l’âge d’or nous semble alors dans l’avenir. Après que nous avons vieilli, et que, suivant la belle expression d’Aristote, la vie nous a humiliés, nous nous retournons brusquement en arrière, et nous le mettons dans le passé. Pour moi, je ne sais s’il faut espérer qu’on le verra un jour ; mais, après avoir lu les lettres de Mme de Sévigné et celles de Cicéron, je suis bien sûr qu’on ne l’a pas encore vu.


III

Je n’ai pas encore parlé de ce qui frappe peut-être plus que tout le reste, quand on compare les deux correspondances que j’étudie. On est très surpris de voir, même en les lisant rapidement, que les préoccupations religieuses tiennent tant de place dans les lettres de Mme de Sévigné, et qu’on ne les retrouve nulle part dans celles de Cicéron. Cette différence mérite de nous arrêter un moment.

Elle est trop radicale pour tenir uniquement au caractère des deux écrivains, et je crois qu’on peut d’abord en conclure que, des deux sociétés parmi lesquelles ils ont vécu, l’une avait le sentiment religieux et l’autre ne l’avait pas. Il est bien entendu que par ce mot je ne veux pas seulement parler de l’adhésion à un culte établi. On ne peut pas raisonnablement attendre de Cicéron, tout augure qu’il était, beaucoup de respect pour les fables ridicules sur lesquelles était fondée la religion de son pays. Je veux parler de ce