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Messéniens, qui avaient, eux aussi, émigré dans ces impénétrables montagnes pour fuir le joug de Lacédémone. Ainsi les Lacédémoniens trouvaient l’asile de leur indépendance dans le pays même qui avait servi de refuge à leurs vaincus ; Spartiates et Messéniens étaient à la fin réunis sous l’empire d’une commune adversité. Bien que le souvenir instinctif de l’ancienne rivalité ne soit pas éteint parmi eux et engendre encore aujourd’hui des haines terribles de famille et d’implacables vengeances, ces deux races néanmoins, fusionnées désormais en un seul peuple, ont repoussé avec fureur et succès l’envahissement des barbares. Tandis que les populations du reste du Péloponèse, bientôt forcées de pactiser et de contracter des alliances avec les colons étrangers, subirent peu à peu ce mélange qui empêche de constater d’une façon précise la filiation du peuple moderne avec le peuple primitif, les guerriers du Maïna, puissamment aidés dans leur lutte par la nature même du pays, se conservèrent purs de tout élément étranger. Ils ont donc le droit de se dire les représentans les plus directs et les plus authentiques de l’antique race hellénique ; leur langage, leur caractère, leurs coutumes, leurs traits même, tout en eux témoigne de l’origine dont ils se vantent. Aussi, depuis les temps les plus reculés jusqu’aux guerres de l’indépendance, les assemblées de leurs vieillards et de leurs chefs ne cessèrent-elles de s’intituler, dans leurs actes politiques et administratifs, « le sénat de Lacédémone. »

Les rochers de Souli, illustrés plus tard par l’héroïsme et les infortunes des Tsavellas et des Botzaris, n’étaient encore qu’un désert, que déjà le Magne, par son indépendance et son existence politique reconnues, protestait contre l’apparent anéantissement de la nationalité grecque. Souli, Sfakia, le Magne, tels sont les trois foyers où, pendant quatre siècles à peu près, couva sous les cendres de la barbarie l’étincelle de vie qui devait plus tard ressusciter un peuple. L’histoire des guerriers de Souli et Sfakia[1] est aujourd’hui connue ; mais que sait-on du Magne ? Des légendes, des traditions populaires, des récits de vieillards, voilà tout ce que l’on possède sur le pays où la cause de l’indépendance hellénique a trouvé ses plus anciens, ses plus énergiques défenseurs[2]. N’importe, il faut se hâter de recueillir ces rares épaves. Si l’on manquait à cette

  1. Voyez sur les Sfakiotes les souvenirs de voyage de M. George Perrot, — Revue du 15 février et du 15 mars 1864.
  2. À la fin du siècle dernier, un savant anglais, William Leake, explora une partie du Magne ; plus tard Bory de Saint-Vincent y conduisit la mission scientifique chargée alors d’explorer la Morée. Les notes qu’ils ont recueillies méritent encore d’être consultées, mais ne peuvent remplacer les renseignemens qu’on obtient sur les lieux mêmes et en interrogeant, comme nous l’avons fait, les populations.