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militaires, soit par les maîtres eux-mêmes, soit par les envahisseurs ; en outre, les liens de la servitude se relâchèrent pour tous les esclaves, et si les impériaux n’eussent triomphé des populations insurgées, nul doute que la liberté des hommes de couleur n’eût été proclamée comme dans les républiques voisines. Depuis cette époque, le prétendu principe de l’esclavage a été affirmé de nouveau* dans toute sa rigueur ; mais les noirs, accoutumés à une liberté relative, et comparant leur situation à celle de tous leurs frères affranchis, ne veulent plus travailler avec la même docilité qu’autrefois : ils résistent ou s’échappent. Des milliers d’entre eux se sont réfugiés dans l’Uruguay, et bien que là aussi il existe de honteuses lois pour l’extradition des esclaves fugitifs, cependant la plupart de ces hommes, protégés par le sentiment public, sont devenus citoyens et propriétaires. C’est là, dans l’opinion des planteurs du Rio-Grande, un scandale qui doit cesser à tout prix. Sous leur haut patronage ou même sous leur direction, des bandes armées ont plus d’une fois violé le territoire de la république pour y capturer des hommes libres et les ramener comme esclaves dans les fermes brésiliennes. Des propriétaires plus hardis se sont même installés en plein territoire de la Bande-Orientale, et là, sur un sol déclaré libre par la constitution, ils ont énergiquement affirmé leur droit à la possession de bétail humain : ils possèdent, en violation des lois, de 15 à 18,000 esclaves dans la république de l’Uruguay. On le voit, c’est à 7 ou 8,000 kilomètres de distance, et dans un autre hémisphère, la contre-partie exacte de ce qui se passait, avant la guerre civile de l’Amérique du Nord, sur les frontières des états libres et des états esclavagistes. La grandeur des événemens ne doit point se mesurer au chiffre de la population entraînée dans le conflit, mais bien à l’importance des principes qui se débattent.

Dès le commencement de la guerre civile, le planteur Souza Netto, le plus puissant de ces propriétaires brésiliens qui se sont établis sur les terres de l’Uruguay, fit alliance avec l’envahisseur Florès et lui envoya des secours de toute nature. Grâce à cet appui, les bandes rebelles, sans cesse recrutées, trouvaient des bases d’opérations dans toutes les estancias de la frontière : là elles se massaient ou s’éparpillaient à leur gré ; tantôt elles s’unissaient en vrais corps d’armée pour surprendre l’ennemi et se lancer jusque dans le voisinage de Montevideo, tantôt elles disparaissaient pour aller se reformer plus loin et reprendre l’offensive. De leur côté, les planteurs brésiliens pouvaient à leur guise accroître le nombre de leurs esclaves, arrondir leurs domaines aux dépens des estancias voisines, et faire soigneusement brûler tous les titres de propriété, tous les registres du cadastre dans les villes capturées. C’était déjà là un grand triomphe ; mais il s’agissait de le faire justifier par le