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qu’elles étaient peu nombreuses, il se mettait à leur poursuite et les forçait à la retraite ; lorsqu’elles présentaient un effectif considérable, il se jetait dans les vallons les plus reculés et disparaissait pour tomber à l’improviste sur un autre point. Ses cavaliers trouvaient toujours dans les estancias des chevaux frais et des vivres en abondance ; parfois aussi ils entraient au galop dans les petites villes non garanties contre un coup de main, et se donnaient le plaisir d’y constituer un simulacre de gouvernement en attendant que l’approche de l’ennemi fût signalée. Ainsi conduite, la guerre civile ne faisait verser que peu de sang, mais elle n’en portait pas moins le plus grand tort à la prospérité de la république. Les campagnes étaient graduellement dévastées, les relations commerciales étaient rompues, les rouages de l’administration cessaient de fonctionner, et les progrès si remarquables que la nation avait faits depuis 1858 étaient arrêtés soudainement.

Pendant les premiers mois de cette guerre civile, le général Florès ne cessa de recevoir des armes, des munitions et des renforts par la rive argentine de l’Uruguay, et l’on a même de graves raisons pour soupçonner le gouvernement de Buenos-Ayres de s’être laissé entraîner par un sentiment de rivalité commerciale à l’égard de Montevideo et d’avoir fermé l’œil sur ces menées. Toutefois, le concours des colorados de la Plata étant fort gêné par les garnisons établies dans les villes de la côte, c’est principalement sur le Brésil que dut s’appuyer Florès. Par les confins de la province de Rio-Grande, des aventuriers en foule sont venus se joindre à la petite armée du caudillo et prendre part à ces expéditions de rapine, connues dans le pays sous le nom singulièrement expressif de californies. C’est que, par le pillage des fermes de l’Uruguay, la richesse s’acquiert bien plus facilement que par l’exploitation des mines d’or de la Sierra-Nevada et des Montagnes-Rocheuses. Celui qui a le bonheur de n’être pas atteint d’une balle dans quelque escarmouche s’enrichit à peu de frais. Après une course joyeuse à travers les campagnes, il revient en poussant devant lui des troupeaux de bœufs et des bandes de chevaux qui ne lui ont rien coûté ; bien plus, il a la chance de ramener des nègres et des négrillons qu’il pourra vendre à beaux deniers comptans sur les plantations brésiliennes.

Ces excursions de brigandage sont donc aussi de véritables opérations de traite, et c’est là précisément ce qui les rend légitimes aux yeux des planteurs du Rio-Grande. L’institution de l’esclavage ayant été plusieurs fois menacée dans cette province, les propriétaires s’y cramponnent d’autant plus fortement, comme à un dogme d’ordre social. Pendant la durée de la république de Piratinim, un grand nombre de noirs furent émancipés, à cause de leurs services