frontière naturelle. Dès l’année 1680, ils avaient bâti un fort à La Colonia, en face même de Buenos-Ayres, afin de prendre pied à l’entrée du domaine convoité. Expulsés de cette position, ils parvinrent à s’y retrancher de nouveau, et pendant près de cent années La Colonia fut le principal enjeu des guerres qui éclatèrent sous divers prétextes entre les Portugais et les Espagnols du NouveauMonde. Durant la grande lutte de l’indépendance, alors que l’armée castillane était enfermée dans Montevideo, les Portugais, réconciliés comme par miracle avec leurs ennemis héréditaires, accoururent à leur aide, et, désirant s’emparer eux-mêmes de la BandeOrientale, feignirent de vouloir la conserver à la couronne d’Espagne.
À la suite des grands événemens qui amenèrent la transformation des anciennes colonies espagnoles en républiques indépendantes et détachèrent pacifiquement l’empire du Brésil du petit royaume de Portugal, les conflits qui ont eu lieu dans la Bande-Orientale entre les Hispano-Américains et les armées brésiliennes ont offert un caractère tout différent de celui que présentaient jadis les batailles entre colons espagnols et portugais : à l’insu de bien des hommes qui y prenaient une grande part, ces conflits étaient aussi les luttes de deux principes. En effet, les institutions du Brésil et celles des républiques limitrophes diffèrent sur plusieurs points de la manière la plus complète, et pendant les quarante dernières années la divergence n’a cessé de s’accroître. Dans les régions de l’empire peuplées ou simplement explorées, déjà presque toutes les propriétés appartiennent à des personnages décorés de titres nobiliaires et constituent d’énormes domaines dont les équivalens seraient regardés en Allemagne comme des états considérables. Le sol du pays se trouve entre les mains de seigneurs féodaux qui, ne cultivant point eux-mêmes de peur de se déshonorer, emploient le travail servile et font exploiter la terre par les nègres et les engagés. Ce que les Brésiliens appellent avec orgueil la grande culture (lavoura grande), c’est la mise en valeur de vastes domaines par un nombre considérable d’esclaves. Plus heureuses, les républiques voisines ne connaissent point cette grande culture et n’ont pas à en redouter les conséquences fatales. Il est vrai que dans les contrées de la Plata les riches éleveurs de bestiaux possèdent chacun dès espaces de terrain de plusieurs lieues carrées ; mais ces estancias, beaucoup moins étendues que les immenses domaines presque entièrement inutiles des grands seigneurs brésiliens, peuvent être aliénées, divisées en parcelles et graduellement transformées en campagnes agricoles que des paysans libres cultivent de leurs propres mains. L’esclavage, cette institution sur laquelle repose toute la société brésilienne, n’existe même plus dans la Confédération Argentine ni dans la Bande-Orientale. En 1843, les noirs de ce dernier état ont