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gouvernement fédéral néglige de revendiquer comme terres publiques de vastes étendues que les états se sont appropriées, et n’ose faire constater par le cadastre la superficie du domaine territorial que possède la nation ; il préfère rester à ce sujet dans l’ignorance et rejeter sur l’avenir les difficultés du présent. De même, il a eu le tort de ne pas résoudre d’une manière définitive la question des limites entre la confédération et les républiques voisines, la Bolivie et le Paraguay. Les espaces en litige, c’est-à-dire le Gran-Chaco et les anciennes missions des jésuites, sont encore déserts et par conséquent ne profitent à personne ; mais ils se peupleront tôt ou tard, et les causes de discorde, longtemps atténuées par des compromis et des traités provisoires, seront peut-être beaucoup plus difficiles à supprimer qu’elles ne le sont aujourd’hui[1].

Quoi qu’il en soit de tous ces germes de dissensions intestines, on ne saurait craindre aujourd’hui le retour des afireuses guerres civiles d’autrefois, car les élémens de désordre qui se trouvaient dans le sein de la république avant la dictature de Rosas n’existent plus aujourd’hui. Sous l’influence des institutions nouvelles, les mœurs sont devenues plus républicaines, les vieilles traditions de despotisme politique et religieux sont oubliées ; l’instruction, qui commence à être généralement répandue, développe l’intelligence si rapide et si nette des Argentins, et lui donne de plus hautes ambitions. Les intérêts des diverses provinces, jadis presque complètement distincts, deviennent de plus en plus solidaires par le développement des relations et des échanges. La ville de BuenosAyres, à laquelle suffisait autrefois le commerce des cuirs, des suifs et de la chair de ses innombrables troupeaux, reçoit maintenant des provinces de l’intérieur des produits de toute nature, vins, fromages, blés, cuivres, minerai d’or et d’argent, bois de construction. Chaque groupe de population, qui, durant la génération précédente, en était réduit presque uniquement à ses propres ressources, se met en rapport avec les autres groupes et leur demande les objets qui lui font défaut. Des villes de commerce s’élèvent sur les frontières du Chili et de la Bolivie ; l’exploitation des mines et les autres industries se développent ; enfin l’agriculture, jadis presque rudimentaire, fait des progrès considérables. Transformant par leur travail les rives des fleuves, les vallées des montagnes, tous les districts faciles à arroser, les cultivateurs marchent à F encontre les uns des autres à travers la prairie et la conquièrent pas à pas sur les gauchos. Les mœurs s’adoucissent grâce à des occupations moins barbares, à une alimentation plus saine. En passant par degrés de

  1. Profitant de la guerre actuelle, le Paraguay revendique énergiquement la possession des territoires disputés.