Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de lord Palmerston était plus spécieux que sincère, et le comte Russell n’eut pas beaucoup de peine à en démêler l’équivoque. Autre chose est en effet de déclarer que les traités de 1815 ont cessé d’exister et de relever ainsi le tsar de ses obligations, autre chose est de constater que le tsar, n’ayant pas satisfait aux stipulations de ce traité, en a perdu les bénéfices. Dans un contrat international comme dans un contrat entre particuliers, quand l’une des parties n’a point rempli ses obligations, elle perd son droit aux avantages qu’elle pouvait prétendre ; mais la partie lésée, en lui signifiant cette déchéance, ne la dispense point pour cela de ses obligations : elle entend, à son heure et à sa convenance, faire valoir les droits qu’elle tire de cet acte, et jamais le contrat n’a plus de force qu’au moment où il est ainsi dénoncé à ceux qui l’ont violé. Au fond, et pour quiconque connaît l’humeur et le langage du noble vicomte, il est prouvé que ce n’est pas la perte de son droit d’intervenir en faveur de la Pologne qu’il redoutait dans l’acte proposé par son collègue du foreign-office, mais bien l’obligation d’intervenir qu’un tel acte lui aurait imposée désormais d’une manière à ne plus pouvoir être éludée.

Ces résistances de son chef, du premier ministre, lord Russell parvint cependant à les vaincre, momentanément du moins, sous le coup de l’irritation causée par la dernière réponse du prince Gortchakov. Une déclaration des droits et des devoirs telle que la suggérait le général Zamoyski allait assez bien à l’esprit méthodique et légiste du principal secrétaire d’état ; il embrassa même cette idée avec une certaine ferveur, et s’empressa de la développer au long et inter pocula au fameux banquet de Blairgowrie (26 septembre 1863). Dans ce discours, demeuré célèbre, lord John commençait par affirmer que a ni les obligations, ni l’honneur, ni l’intérêt, n’exigeaient de la Grande-Bretagne de faire la guerre pour la Pologne ; » mais, après avoir payé ce tribut indispensable aux sentimens chevaleresques de la noble Angleterre, le ministre continuait de la sorte : — Le partage de la Pologne a été le scandale de l’Europe pendant le dernier siècle et la honte des trois puissances qui l’ont accompli. Jusqu’au traité de Vienne, cet acte n’était point admis dans le droit européen. Ce traité, sous la pression des circonstances, donna au partage une sanction rétrospective, « et les puissances de l’Europe sont devenues, pour me servir d’une expression légale, complices après le fait (accessories after the fact). » En reconnaissant toutefois la domination russe en Pologne, poursuivait l’orateur, les puissances de l’Europe ont stipulé certaines conditions, pour ce pays ; mais la Russie ne les a pas tenues. Avertie aujourd’hui par les remontrances de l’Europe, elle persévère dans la violation