Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est pas seulement l’esprit des inventeurs qui aime à évoquer avant l’heure cette fête solennelle, c’est l’esprit des temps nouveaux qui demande partout l’abaissement des barrières naturelles pour arriver à la suppression des barrières artificielles entre les peuples, c’est le commerce, c’est l’industrie de soixante millions de Français et d’Italiens qui attendent cette ouverture à travers les Alpes, ce sont surtout les populations les plus directement intéressées, les plus rapprochées, la Savoie et le Piémont, qui attendent l’achèvement du tunnel. La Savoie s’y intéresse pour des motifs divers : c’est un travail qu’elle a voté par ses députés au parlement sarde et qui est exécuté par un de ses enfans; ainsi elle en appelle la réussite au double point de vue de l’intérêt et de l’orgueil national. Le Piémont enfin espère trouver dans le raccordement de son réseau de chemins de fer avec celui de la France et de la Suisse une compensation aux sacrifices qu’il a faits et qu’il fait encore pour cette œuvre. De nos jours, on est facilement ingrat, et il n’est pas inutile de rappeler les grandes choses accomplies par le vieux Piémont. C’est au milieu de ce petit peuple, dans son esprit public, dans son opinion ferme et constante, que se sont élaborées les deux, grandes entreprises de la percée des Alpes et de l’indépendance italienne. Tous les hommes qui se sont présentés à lui avec des instrumens nouveaux pour percer le Mont-Cenis et tous ceux qui lui ont parlé de liberté nationale ont rencontré son approbation, ses sympathies et ses encouragemens. Il a espéré contre toute espérance, il a été fidèle aux deux idées, il les a retenues même alors qu’il n’entrevoyait pas comment elles passeraient dans les faits, il les a poursuivies avec la ténacité qui est le trait de son caractère et lui fait parmi les peuples une figure à part. M. Paleocapa disait à la tribune du parlement, en 1854, qu’il avait entre les mains plus de vingt projets différens pour franchir ou percer les Alpes. Quand un peuple veut fortement, il est bien près de pouvoir. Sa volonté est un terrain fécond où s’épanouit le génie, où se développent les esprits puissans, qui font travailler les forces du monde politique et les forces du monde physique à la gloire de l’homme et à l’accomplissement des desseins de Dieu envers l’humanité.


HUDRY-MENOS.