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sur la montagne, on a établi en face des deux entrées un observatoire d’où l’œil plonge dans le tunnel et s’élève sur le versant des Alpes, visant tour à tour une lumière placée au fond et les points de repère du plan vertical. Le théodolite braqué sur l’axe donne la direction que doivent suivre les deux attaques. La déviation du plan vertical est pour ainsi dire impossible, puisque l’axe du tunnel et le plan vertical sont en rapport constant entre eux par l’angle visuel, et que, d’un autre côté, les deux attaques, s’élevant en ligne droite par une pente douce, se couperont nécessairement au centre de la montagne. Aucun doute ne s’élève dans l’esprit des ingénieurs qui ont fait la triangulation sur la rencontre des deux sections, et l’objection tirée de l’incertitude de cette rencontre n’a de valeur que pour les esprits qui ne se rendent pas compte des opérations trigonométriques.

D’autres erreurs se sont répandues au sujet de ce grand travail. On a dit qu’il était commencé depuis le mois d’août 1857, depuis le vote de la loi qui l’a décrété. Il est vrai qu’à cette époque le roi Victor-Emmanuel mit le feu à la première mine du côté de la Savoie, et inaugura l’œuvre si chère à son père; mais ce ne fut que l’inauguration officielle, le commencement des travaux par les procédés ordinaires. Rien n’était préparé encore pour recevoir et installer l’ensemble des moyens extraordinaires de perforation qui viennent d’être décrits. Les machines n’étaient pas même construites. Tous les appareils qui avaient servi aux expériences n’étaient que des modèles en petit. On fit construire les machines dans les dimensions voulues en Belgique, à Seraing. De ce côté-ci des Alpes, on pouvait les amener, par de bonnes routes, à travers la France et la Savoie, jusqu’au pied des monts; mais sur l’autre versant, dans la vallée de la Dora, il fallut réparer les routes, en faire de nouvelles, reconstruire ou fortifier les ponts, pour le passage de ces énormes pièces. Les prises d’eau, les canaux de dérivation, les bassins manométriques, les châteaux d’eau, tous ces travaux d’art étaient à exécuter sur les deux versans. On attaquait les Alpes entre 1,200 et 1,300 mètres d’altitude, dans une région pauvre, sans ressources pour loger et nourrir les douze cents ouvriers qui arrivaient à la fois sur chacune des deux attaques. — Tout était à créer. Le personnel lui-même était à former, car le genre de percement qu’on allait employer était nouveau pour les directeurs comme pour les simples ouvriers. Tout métier exige un apprentissage : on exerça les ouvriers dans les ateliers à la perforation de blocs de granit, et ce ne fut que le 12 janvier 1861 que les machines entrèrent en galerie sur l’attaque piémontaise, et le 25 janvier 1863 sur l’attaque savoisienne. Pendant ce temps, on avait percé de ce côté, par