Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se perchent sur le bâti de l’affût, ou se renversent le long des essieux, accomplissant dans cet espace restreint des évolutions étonnantes sans qu’on ait d’accidens à déplorer. J’en ai même vu qui lisaient. Un entre autres, tranquillement assis sur l’affût, le cou et les épaules ployés sous la voûte basse, comme s’il avait voulu soulever le poids de la montagne, tendait vers le bec de gaz un livre que je reconnus : il lisait pour charmer ses loisirs le premier roman de l’Italie, I promessi Sposi, de Manzoni, au grincement de la machine qui fait tomber la barrière du Mont-Cenis.

Il est plus facile de décrire le travail de ces ingénieuses machines que de se rendre compte des mouvemens divers de leurs organes compliqués. Il a fallu combiner trois mouvemens automatiques pour imiter le travail de l’homme : la percussion, la rotation et l’avancement. Le coup est donné par un piston portant une barre à mine et oscillant dans un corps de pompe avec une rapidité extrême. En oscillant, il ouvre et ferme tour à tour des lumières qui admettent et laissent échapper l’air comprimé. La section postérieure du piston étant plus grande que la section antérieure, qui porte l’outil, et la pression de l’air étant en raison directe de la surface sur laquelle il pèse, il résulte de cette combinaison des surfaces que le mouvement en avant, le coup du fleuret, est plus puissant que le mouvement de retour. L’effort exercé en avant par l’air comprimé est de 90 kilogrammes, et il s’exerce de 180 à 200 fois par minute : c’est comme un poids de 90 kilogrammes qui tombe jusqu’à 200 fois par minute sur la barre à mine. Pour prévenir les violences du piston contre les parois de sa prison cylindrique, l’inventeur a eu l’idée de le faire heurter constamment contre un matelas d’air comprimé, qui le rejette en arrière aussitôt que la pression se détend sur sa section postérieure, et ici encore le choc en retour est amorti par un coussin de caoutchouc. Dans sa chambre bien bourrée et matelassée, il jouit d’une plus grande liberté d’allure que le piston de la machine à vapeur, et il peut accomplir sa course furieuse de va-et-vient sans ébranler son corps de pompe.

Outre le mouvement rectiligne de va-et-vient, le piston doit tourner sur lui-même à chaque coup pour imiter le travail du mineur. Ce mouvement singulier est imprimé par une tige carrée qui plonge à frottement dans le corps du piston, dégaine quand il court en avant et rengaine quand il revient en arrière, semblable à une épée à moitié tirée du fourreau. La tige ou l’épée, pour suivre la comparaison, porte une roue pleine qui en forme la garde. La roue est rayée de seize dents sur la circonférence, et un doigt de fer qui obéit au mouvement d’une autre tige compte une dent à chaque coup de fleuret, faisant tourner par conséquent le piston d’un