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énorme cétacé : des soupapes et des valves se lèvent et s’abaissent comme les organes de sa vaste poitrine, aspirent et respirent violemment l’air, qui est réduit par l’effort de l’eau au sixième de son volume atmosphérique et chassé dans les troncs couchés au pied des colonnes. A la limite du terrain occupé par les ateliers de compression, on voit se détacher un nouvel organe qui s’allonge indéfiniment, plonge sous le sol de la route, reparaît bientôt, monte en longs replis au flanc de la montagne, suit le plan incliné automoteur, et par un dernier mouvement s’enfonce dans le tunnel comme un serpent qui cherche la fraîcheur dans une caverne humide. L’impression singulière d’un monstre animé vous suit dans la profondeur du tunnel, lorsqu’on se trouve en présence d’un bâti de fer qui en forme comme la tête, une sorte de mâchoire où il vient aboutir, qui s’ouvre contre la roche et darde des langues d’acier en laissant échapper à chaque coup une bouffée d’haleine puissante qui se répand au fond de la galerie.

L’imagination est prompte à s’exalter devant ces créations du génie humain ; mais elle est impuissante à en donner une idée juste, et c’est évidemment à une autre faculté qu’il faut en demander l’explication. Si l’on a suivi les deux applications primitives de l’air comprimé, on aura la clé de cette troisième application qui les a combinées, mais à un degré de puissance qui n’avait jamais été atteint et sur des proportions inconnues auparavant. Les services qu’on avait demandés à l’air dans les inventions dont celle-ci est le développement fécond n’étaient que des jeux d’enfans en comparaison du travail qu’il accomplit aux Alpes. Dans les applications antérieures, l’air n’avait été en lutte qu’avec l’eau, refoulé par elle ou la refoulant, comprimé du reste à une faible pression, qui se perdait aussitôt qu’il était enlevé à l’étreinte de l’eau, et que pour cette raison les physiciens appellent pression statique; mais dans le nouveau système il est amené à la pression dynamique, c’est-à-dire capable d’un travail, emmagasiné à l’état de force vive et mis aux prises, non plus avec l’eau, mais avec la section métallique d’un piston qu’il fait mouvoir et à l’aide duquel il éventre les Alpes.

Pour faire produire à l’air cet effort de travail comparable à celui de la vapeur dans son cylindre, on comprend qu’il ait fallu de solides appareils. Devant ces masses de fer fondu et d’acier dont le premier aspect laisse une impression si confuse, on ne tarde pas néanmoins à discerner trois parties essentielles, qui remplissent chacune sa fonction dans l’ensemble du système employé à l’attaque des Alpes: le compresseur avec son récipient couché en avant, — l’organe qui transmet l’air comprimé au fond du tunnel, — la machine perforante qui l’utilise. Il y a deux systèmes de compression, le système