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citée par l’impatience de M. de Cavour, qui ne se sentait pas à l’aise vis-à-vis du parlement, car il ne pouvait ignorer qu’en autorisant les ingénieurs à poursuivre l’application de l’air comprimé au percement des Alpes, il suspendait l’exécution d’une loi votée par les chambres et signée par le roi, ce qui constituait un acte inconstitutionnel, une atteinte à la loi fondamentale. Quoiqu’il fût pour ainsi dire porté dans cette nouvelle direction par l’opinion publique et par la chambre des députés elle-même, qui voulaient plus énergiquement que jamais voir mettre la main à l’œuvre, son sens profond du régime parlementaire ne le laissait pas tranquille, et il avait hâte de sortir de l’impasse en faisant sanctionner par une loi la nouvelle application. Aussi harcelait-il sans cesse la commission spéciale chargée d’assister aux expériences de la Coscia. On cite un trait qui peint les mœurs politiques du Piémont : M. de Cavour, poursuivant les membres de cette commission dans leur promenade habituelle sous les frais portiques du Pô, les abordait familièrement et les pressait de rédiger leur rapport, qui se faisait trop attendre. Ceux-ci, pour échapper à des instances si soutenues et pour éviter d’être abordés par le grand ministre, honneur qui aurait été si fort recherché en d’autres pays, avaient fini par se priver de ce plaisir de la promenade si cher aux peuples du midi. Enfin le rapport parut dans les actes du parlement le 26 mai 1857[1]. Toutes les conclusions étaient favorables au système de perforation mécanique, et un mois après le projet arrivait à la chambre des députés.

Dès la première séance, l’incident que redoutait M. de Cavour fut soulevé par un député quelque peu incrédule sur les effets utiles de l’air comprimé appliqué à la perforation ou à la propulsion, mais en revanche fort préoccupé de l’application sincère du régime constitutionnel en Piémont. « Je rappellerai à la chambre, dit-il, que par la loi du 20 juillet 1854 elle a approuvé la convention entre le gouvernement et les ingénieurs Sommeiller, notre collègue. Grandis et Grattoni pour l’application du système hydropneumatique à la locomotion sur les plans inclinés du Giovi. » Il passa. ensuite en revue toutes les obligations imposées par cette loi, et devant chacune d’elles il s’arrêtait pour demander au gouvernement si elle avait été exécutée. À ces demandes M. de Cavour, d’ordinaire si prompt à mettre à nu sa conduite devant la chambre, s’enveloppa dans un silence qui trahissait l’embarras de sa situation. « A mon avis, continua le député, il n’est pas dans les prérogatives du ministère de sus-

  1. Rapporta della commissione governativa istituita per l’esame delle machine inventate dagli ingegneri Grandis, Grattoni e Sommeiller. La commission était composée des sénateurs Des Ambrois de Névache et Giulio, du député Menabrea et des ingénieurs Ruva et Sella.